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ZACHARIE LE SCHOLASTIQUE
VIE DE SÉVÈRE
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

AVERTISSEMENT
L’ouvrage que nous publions sous le titre : Textes syriaques
relatifs à la vie de Sévère, patriarche
d’Antioche, paraîtra en trois fascicules.
Le
premier que nous présentons aujourd’hui au public comprend le texte
syriaque et la traduction française de la Vie de Sévère par Zacharie
le Scholastique; le second contiendra le texte et la traduction:
1° de la
Vie de Sévère par Jean, higoumène du couvent de Beth-Aphthonia; 2°
des diverses notices que les écrivains syriens nous ont laissées sur
ce célèbre patriarche; le troisième donnera l’introduction, le
commentaire, l’index nominum et un
index syriacitatis.
Les Vies
composées par Zacharie et par l’higoumène Jean ont été écrites
primitivement en grec, mais le texte grec en est perdu. La
littérature syriaque nous en a heureusement conservé une excellente
version, qui nous est parvenue, pour la première de ces Vies, dans
le ms. Sachau 321, et pour la seconde dans le même ms.
Sachau 321 ainsi que dans l’add. 17.203 du British
Museum. Toutefois, dans ce dernier manuscrit,
le texte est très mutilé par suite de la disparition de plusieurs
feuillets.
La Vie
composée par Zacharie a été publiée par M. Spanuth en 1893, et
traduite par M. Nau, en 1899-1900, dans la Revue de l’Orient
chrétien. L’édition de M. Spanuth, qui est actuellement
épuisée, a été faite avec beaucoup de soin. Il nous a cependant été
possible d’apporter quelques améliorations, en supprimant parfois
quelques fautes d’impression, en rétablissant ailleurs la leçon
du manuscrit, enfin, en faisant certaines corrections qui nous
ont paru nécessaires. Le texte de cette Vie est loin d’être toujours
facile à comprendre. Nous nous sommes efforcé d’en reconstituer par
endroits l’original grec, et nous sommes ainsi parvenu à pénétrer le
sens de maint passage obscur. Ce n’est pas que toutes les
difficultés du texte soient résolues, mais nous croyons avoir réussi
à diminuer, dans une assez large mesure, le nombre de celles qui
restent à résoudre. Nous avons mis entre parenthèses dans notre
traduction les mots grecs que le traducteur syrien a employés et
qu’il a empruntés, sinon toujours, du moins presque
toujours, au texte de Zacharie et nous avons placé au bas de
la page, pour certains mots et certaines locutions,
l’original grec que le traducteur semble avoir eu sous les yeux.
Pour plus de clarté, nous avons suppléé souvent des noms propres;
les noms propres suppléés sont imprimés en caractères ordinaires,
les autres en caractères italiques.
La Vie
composée par l’higoumène Jean est restée inédite jusqu’à ce jour;
elle a seulement été résumée par M. Nau à la suite de sa traduction
de la Vie de Sévère par Zacharie. Quant aux notices sur Sévère,
plusieurs d’entre elles seront publiées pour la première fois.
L’Introduction et le Commentaire seront étendus : dans
l’Introduction, nous étudierons toutes les questions littéraires qui
se rattachent aux documents publiés; dans le Commentaire, nous
fournirons tous les renseignements historiques de nature à illustrer
ces documents et à faire apprécier leur valeur par les historiens.
M.-A.
KUGENER.
VIE DE
SÉVÈRE
PAR
ZACHARIE
LE SCHOLASTIQUE
Voici
ensuite la biographie de saint Mar Sévère, patriarche
d’Antioche, qui a été écrite par Zacharie le
Scholastique, lequel étudia avec Sévère [la grammaire et la
rhétorique] à Alexandrie et le droit à Béryte.
— D’où
nous viens-tu aujourd’hui, ô ami et camarade.
— Du
Portique (στοά) royal, mon cher. Je suis venu auprès de toi pour
être renseigné sur les questions que je veux te poser. Mon esprit
vient en effet d’être bouleversé par un libelle, qui semble avoir
pour auteur un chrétien (Χριστιανός), mais qui, en réalité, vise
plutôt à bafouer le christianisme
— Et
comment cela? dis-moi. Et de quelle manière en es-tu arrivé à lire
ce libelle?
—
J’examinais les livres des libraires établis dans le
Portique (στοά) royal
— tu connais en effet ma passion pour
les livres — lorsque l’un de ceux qui sont assis là et qui vendent
des livres, me donna le libelle en question pour le lire. Dans ce
libelle, on diffame, on calomnie, on outrage, on bafoue un
philosophe (φιλόσοφος). Tu l’as connu au début de sa carrière; il
s’est distingué depuis dans l’épiscopat et s’est fait remarquer
jusqu’à ce jour par sa conduite et sa science des divines Écritures.
J’entends parler de Sévère, dont la réputation est
grande auprès de ceux qui savent apprécier le bien sans aucun parti
pris. Et voilà pourquoi j’ai le cœur cruellement affligé.
— Mais,
mon ami, si tu as une si bonne opinion de Sévère, pourquoi te
préoccuper de son diffamateur et de son calomniateur, quel qu’il
soit? Il semble, en effet, d’après ce que tu dis, qu’il n’est
chrétien (Χριστιανός) que pour la forme et par hypocrisie, qu’en
réalité il se donne plutôt (μᾶλλον) pour tâche de glorifier les
païens, et n’aspire qu’à les combler de louanges, outrageant de la
sorte des personnes qui sont estimées pour leur vertu et à qui il a
été donné de servir Dieu depuis tant d’années déjà par cette belle
philosophie (φιλοσοφία) qu’elles nous ont fait voir.
— Ce
n’est pas parce que le doute m’a envahi, ou que j’ajoute foi à des
récits dictés par la méchanceté, que je suis venu auprès de toi.
Non, mais mon cœur, comme je l’ai dit, est affligé. J’ai peur que
des lecteurs à l’esprit simple ne se fassent par hasard une opinion
désavantageuse de ce patriarche. Aussi, si tu as le souci de la
vérité — et tu l’as, raconte-moi la vie de Sévère depuis sa
jeunesse, pour la gloire de Dieu tout-puissant et de notre Sauveur
Jésus-Christ, en qui reposent ceux qui se sont voués au sacerdoce et
à la philosophie, j’entends la vraie philosophie. Tu m’apprendras de
quelle ville il est, de quel peuple, de quelle famille, si toutefois
tu connais ces détails. Tu me diras surtout quelle a été sa
conduite, et ce qu’ont été, depuis sa jeunesse, ses opinions au
sujet de Dieu. Car le diffamateur l’a incriminé non seulement à
propos de sa vie et de sa conduite, mais encore parce que, au début
de sa carrière, il aurait adoré les démons malfaisants et les
idoles. Il a dit en effet : « On l’a aussi surpris offrant des
sacrifices païens, en Phénicie, à l’époque où il
étudiait les belles-lettres et les lois (νόμοι). »
— Mais,
si quelqu’un diffame la vie d’autrui, en recueillant des propos
futiles et mensongers, nous ne devons pas nous en préoccuper, à
moins que ce qu’on dit ne renferme une part de vérité. Car les
mauvais démons et leurs amis calomnient facilement la conduite de
ceux qui ont vécu dans la vertu. Il ne faut pas nous étonner si les
serviteurs du Christ, Dieu de l’univers, sont traités de Satans par
Satan, puisque, quand la cause efficiente et créatrice de toute
chose fut venue parmi nous, il poussa les Juifs à blasphémer et à
dire : C’est par Belzébuth, prince des démons,
qu’il chasse le démon. Cependant, puisque tu m’as dit que tu
crains que ce libelle nuise à quelques esprits simples, je vais, par
respect pour la vérité et par amour pour toi, raconter la vie de
Sévère avec lequel j’ai été, dès sa première jeunesse, à
Alexandrie et en Phénicie, entendant les mêmes
maîtres que lui, et partageant les mêmes occupations. Ceux qui
étudiaient avec nous et qui sont encore en vie — leur nombre est
assez considérable — pourront attester la véracité de mon récit.
L’illustre Sévère est Pisidien d’origine, sa ville
natale est Sozopolis. C’est en effet cette ville qui
lui échut comme séjour après la première, dont nous avons tous été
bannis à la suite de la transgression d’Adam, et que le divin Apôtre
nous invite à rechercher de nouveau. Car nous n’avons point ici,
dit-il, de ville permanente, mais nous cherchons celle
où nous devons habiter un jour, celle dont Dieu est
l’architecte et le fondateur. Il fut élevé par des
parents distingués, comme l’ont dit ceux qui les connaissaient. Ils
descendaient de ce Sévère, qui fut évêque de la ville
de Sozopolis à l’époque où le premier concile (σύνοδος) d’Éphèse
fut réuni contre l’impie Nestorios. Après la mort de son père,
qui faisait partie du sénat (βουλή) de la ville, sa mère devenue
veuve l’envoya avec ses deux frères, qui étaient plus âgés que lui,
à Alexandrie, pour étudier la grammaire (γραμματική)
et la rhétorique (ῥητορική) tant grecques que latines (ῥωμαῖος).
La
coutume étant établie dans son pays, comme on le rapporte, de ne pas
s’approcher du saint baptême, à moins de nécessité (ἀνάγκη) urgente,
avant l’âge mûr, il se fit que Sévère et ses frères n’étaient encore
que catéchumènes quand ils vinrent à Alexandrie, pour
la cause indiquée. A cette époque, moi aussi je séjournais dans
cette ville pour le même motif. Les trois frères se rendirent
d’abord auprès du sophiste Jean, surnommé le
Σημειογράφος
(?), ensuite auprès de
Sopater, qui était réputé dans l’art de la rhétorique,
comme tout le monde lui en rendait un grand témoignage. Il se trouva
que je fréquentais également les cours de ce maitre, à cette époque,
ainsi que Ménas (Μηνᾶς), de pieuse mémoire, dont
l’orthodoxie, l’humilité de vie, la grande chasteté, l’amour de son
semblable et la commisération envers les pauvres étaient
universellement attestés. Il était en effet de ceux qui fréquentent
avec assiduité la sainte Eglise, ceux que les Alexandrins,
suivant la coutume du pays, ont l’habitude d’appeler
Φιλόπονοι.
Au cours
de nos études, pendant notre séjour à Alexandrie, nous admirions la
finesse d’esprit du merveilleux Sévère, ainsi que son
amour de la science. Nous étions étonnés de voir comment dans un
court espace de temps, il avait appris à s’exprimer avec élégance,
en s’appliquant avec assiduité à l’étude des préceptes des anciens
rhéteurs (ῥήτορες), et en s’efforçant d’imiter leur style brillant
et travaillé (?). Son esprit ne s’occupait que de cela, et nullement
de ce qui séduit d’ordinaire la jeunesse. Il se consacrait tout
entier à l’étude, s’éloignant dans son zèle pour elle de tout
spectacle blâmable.
Affligés
qu’une telle intelligence n’eût pas encore reçu le divin baptême,
nous conseillâmes à Sévère d’opposer aux discours du sophiste (σοφιστής)
Libanios, qu’il admirait à l’égal des anciens
rhéteurs, ceux de Basile et de Grégoire, ces
illustres évêques (ἐπίσκοποι) , et de les comparer ensemble. Nous
lui donnions ce conseil, afin qu’il parvînt, par la voie de la
rhétorique qui lui était chère, à la doctrine et à la philosophie de
ceux-ci. Lorsque Sévère eut appris à connaître ces écrits, il fut
entièrement conquis par eux. On l’entendit aussitôt faire l’éloge
des lettres adressées par Basile à Libanios et de
celles que Libanios écrivit en réponse, dans lesquelles il
avouait avoir été vaincu par Basile et accordait la victoire
aux lettres de celui-ci. Il résulta de là que Sévère se plongea à
partir de ce moment dans la lecture des ouvrages de l’illustre
Basile et les méditations, et que Ménas, mon ami,
qui faisait l’admiration de tout le monde par sa ferveur, déclara
dans une prophétie que l’événement a confirmée (Ménas aimait, en
effet, à faire le bien) : « Celui-là (Sévère) brillera parmi les
évêques (ἐπίσκοποι) comme saint Jean, à qui fut confié
le gouvernail de la sainte Église de Constantinople ». Dieu,
qui seul connaît l’avenir, révélait donc ces choses sur Sévère,
quand il était encore jeune homme, en se servant ici encore de
l’intermédiaire d’une âme pieuse.
Peu
après se produisirent les événements relatifs à Paralios et à
Horapollon le grammairien (γραμματικός) , desquels il ressort
que celui qui a été calomnié contrairement aux lois divines, est
innocent des calomnies de son infâme insulteur. Voici quelle a été
l’origine de ces événements. Paralios était d’Aphrodisias,
qui est la métropole de la Carie. Il avait trois
frères, dont deux étaient adonnés à l’idolâtrie, et se conciliaient
les démons pervers par des invocations, des sacrifices, des
incantations et par les artifices des magiciens, et le troisième,
Athanase, cet homme de Dieu, avait embrassé la vie
monastique à Alexandrie, dans de couvent) appelé
Ἔνατον, en même temps que l’illustre Étienne. Après
ses premières études, pendant lesquelles il avait étudié le
jus civile en Phénicie,
Athanase s’était rendu à Alexandrie pour une certaine
affaire. Là il rencontra Étienne, dont je viens de
parler, qui depuis son enfance était animé d’une ardente piété, et
qui exerçait alors les fonctions de sophiste (σοφιστής),
c’est-à-dire de professeur, et il jugea bon de rejeter avec lui les
vaines espérances du barreau. Comme sur un signe de Dieu, chacun
d’eux reçut le joug de la vraie philosophie de la main du grand
Salomon, à cette époque le supérieur de ceux qui
cultivaient la philosophie dans le couvent en question. C’était un
homme à l’esprit sain, qui se distinguait par les vertus de la vie
monastique.
Paralios, après
avoir été élevé en païen dans son pays par ses deux autres frères,
partit pour Alexandrie dans le désir d’apprendre la grammaire
(γραμαμτική) : ses frères lui avaient fortement recommandé avant son
départ de ne jamais adresser une seule parole à Athanase,
dont il a été fait mention. Il vint donc auprès du grammairien (γραμαμτικός)
Horapollon. Celui-ci connaissait d’une façon
remarquable son art et son enseignement était digne d’éloge; mais il
était de religion païenne, et plein d’admiration pour les dénions et
la magie. Dans le commerce d’Horapollon, le paganisme de Paralios
s’accentua davantage : il s’attachait, en effet, à offrir avec son
maître des sacrifices aux idoles. A la longue, Paralios, vaincu par
la nature, brûla du désir de voir enfin son frère Athanase.
Il se rendit donc au monastère de Salomon, et fut
captivé par le saint couple que formaient Étienne et
Athanase. Ceux-ci eurent facilement raison, avec l’aide
de l’esprit de Dieu, des nombreuses objections et questions païennes
qu’ils s’entendaient faire par Paralios.
Étienne était en effet
très savant et bien au courant à la fois des doctrines divines
et de la science encyclopédique. Après avoir lu de nombreux traités
des docteurs de l’Église, qui combattent les païens, il avait reçu
de Dieu la grâce de triompher entièrement de ceux-ci, en discutant
avec eux; et son zèle pour la religion le rendait semblable au grand
Élie. Il réfuta donc les objections sophistiques que
les païens font aux chrétiens, puis il rétorqua contre Paralios les
turpitudes des païens, les mystères infâmes de leurs dieux, les
oracles mensongers du polythéisme °, les réponses obscures et
embarrassées de ces dieux, leur ignorance de l’avenir, ainsi que
d’autres tromperies de ces mêmes démons. Il persuada à Paralios de
soumettre des doutes de ce genre à Horapollon, Héraïskos,
Asklépiodotos, Ammonios, Isidore, et aux
autres philosophes qui étaient auprès d’eux; ensuite de peser dans
une juste balance ce qui aurait été dit des deux côtés. Pendant de
nombreux jours, Paralios eut des conversations sur ce sujet
avec les païens, et il trouva leurs réponses faibles et sans
fondement. Il se produisit ensuite un fait qui est digue d’être
rappelé et mis par écrit.
Asklépiodotos d’Alexandrie,
qui s’occupait d’enchantements, exerçait la magie, faisait des
invocations démoniaques, et qui avait conquis par là l’admiration
des païens pour sa philosophie, avait déterminé son homonyme (=
Asklépiodotos),
qui en ce temps-là se glorifiait des honneurs et des dignités dont
le comblait le roi et tenait le premier rang dans le sénat (βουλή)
d’Aphrodisias à lui donner sa fille en mariage. Il habita
longtemps avec sa femme en Carie, et désira avoir des
enfants. Mais son désir ne s’accomplit pas, Dieu lui infligeant
comme châtiment, parce qu’il s’occupait des pratiques mauvaises de
la magie, la privation d’enfants et la stérilité de sa femme. Comme
son beau-père était affligé que sa fille n’eût pas d’enfants, notre
philosophe imagina un oracle (ou plutôt il fut trompé par le démon
figuré par Isis), d’après lequel la déesse lui
promettait des enfants, s’il allait avec sa femme dans le temple que
cette déesse avait jadis à Ménouthis (Μένουθις), village
éloigné d’Alexandrie de quatorze milles, et voisin de la
[localité] appelée Canope. Il persuada donc à son beau-père
de lui permettre d’emmener sa femme et d’aller avec elle en ce lieu.
Après lui avoir promis de revenir auprès de lui avec sa femme et
l’enfant qu’elle aurait eu, Asklépiodotos partit pour
Alexandrie, ayant trompé son homonyme (= Asklépiodotos).
Il
séjourna un certain temps à Ménouthis et offrit un nombre
considérable de sacrifices aux démons. Mais cela ne lui servit de
rien. La stérilité de sa femme persista également là. Ayant cru voir
en songe Isis couchée auprès de lui, il s’entendit déclarer
par ceux qui interprétaient là-bas les songes et qui servaient le
démon figuré par Isis, qu’il devait s’unir à l’idole
de cette déesse, puis avoir commerce avec sa femme; qu’ainsi lui
naîtrait un enfant. Notre philosophe ajouta foi à une tromperie
aussi grossière, comme le prêtre qui l’avait conseillé depuis le
commencement le reconnut à la fin, et s’unit à la pierre qui
représentait Isis, et, après la pierre, il s’unit à sa
femme.
Celle-ci
resta stérile malgré cela. A la fin, le prêtre lui conseilla
d’aller, mais rien qu’avec sa femme, au village d’Astu (Ἄστυ),
d’y demeurer un certain temps, puis de prendre pour son enfant celui
qui était né à la prêtresse, une compatriote à lui, peu de temps
auparavant. Car les dieux et les destins, disait-il en extravagant,
voulaient qu’il fît cela. Asklépiodotos suivit également ce conseil,
alla avec sa femme, sans que personne les accompagnât, auprès de la
mère de cet enfant. Il lui donna une certaine somme d’argent et prit
son enfant. Puis il revint à Alexandrie, en se vantant
qu’une femme stérile avait enfanté après tout ce temps. Il
s’ensuivit que tous ceux qui étaient livrés à la folie des païens,
se glorifièrent grandement de cette fable comme d’une chose vraie,
et louèrent Isis ainsi que Ménouthis, le
village de la déesse, où quelqu’un a, accomplissant ainsi une bonne
action, enfoui sous le sable le temple d’Isis, au
point qu’on n’en voit même plus la trace.
Paralios croyant que cette
histoire mensongère était vraie, la fit connaître à son frère et à
ceux qui étaient avec lui, comme une chose remarquable. Il disait
que cette démonstration par les faits possédait une plus grande
force que n’importe quel argument de la raison, et il s’en
glorifiait comme d’un miracle païen et évident. Le divin Étienne
ayant entendu l’histoire de cette ineptie dit à Paralios:
« Si une femme stérile, mon cher, a enfanté, elle a aussi du lait et
il faut que les païens s’assurent de la chose, par l’intermédiaire
d’une dame honorable apure et d’une famille connue à Alexandrie.
Elle verra le lait établissant ce prodige et ce miracle, et
ainsi la fille d’un haut personnage de la Carie et la femme
d’un philosophe n’aura pas l’air d’avoir été outragée (?). » Ce
langage parut raisonnable, et Paralios transmit la
proposition (πρότασις)des moines aux philosophes païens. Mais
ceux-ci craignant qu’on ne leur reprochât cette histoire fabuleuse,
dirent à Paralios : « Tu oses (demander) l’impossible
Tu penses (?) persuader (?) des personnes qui restent attachées
d’une façon inébranlable à la vérité, et qui ne songent pas à des
choses ce genre. » Mais comme il semblait …………….envoyé ……………..de
sorte qu’(il résulta) pour Paralios qu’il s’éloigna des
doctrines des païens.
Il se
produisit encore cet autre fait que voici : étant à Ménouthis,
Paralios vit Isis, c’est-à-dire le démon qui
représente cette déesse, qui lui disait en songe : « Prends garde à
un tel, c’est un magicien ». Or, il se fit que celui dont il était
question, était également venu pour apprendre la grammaire, qu’il
étudiait chez le (même) maître et que le démon lui révéla (la même
chose) au sujet de Paralios, lorsqu’il se rendit à
Ménouthis. L’un et l’autre ayant fait connaître cette
vision à ses camarades dans l’école (σχολή) d’Horapollon,
et ayant appris ce que son condisciple avait raconté sur son
compte, était persuadé qu’il disait la vérité et que son condisciple
mentait.
Aussi
Paralios se souvint-il de l’enseignement du grand Étienne;
il se rappela qu’Etienne ainsi qu’Athanase lui
avaient tenu de longs discours sur la perversité des démons
malfaisants, lui disant qu’ils avaient l’habitude d’exciter les
hommes les uns contre les autres, parce qu’ils se plaisent toujours
aux guerres et aux combats, et qu’ils sont les ennemis de la paix.
Paralios voulut cependant
savoir ce qu’il en était réellement de ces choses. Il réfléchissait
en effet à ce qui était dans l’habitude du démon et de l’erreur, et
à ce qui se pratiquait en ces lieux. Il tenait jusque-là que son
compagnon mentait. Il revint donc à Ménouthis. Il
offrit au démon les sacrifices habituels et le supplia de lui faire
savoir par un oracle si c’était lui qui était magicien ou son
ennemi, et si réellement un tel oracle avait été rendu également à
son sujet. Le démon, ne tolérant pas que l’on reprochât aux oracles
en question d’être entachés de contradiction et de méchanceté, ne
daigna pas lui répondre. Paralios supplia alors le démon
pendant de nombreux jours de ne pas le laisser sans réponse, parce
que, disait-il, il ne chercherait pas à lui refuser, à lui ainsi
qu’aux autres dieux, la soumission et les honneurs, s’il recevait à
ce sujet entière satisfaction Le démon persévéra dans son silence et
ne lui fit vas voir l’illusion (φαντασία) habituelle de son
épiphanie. Après avoir, attendu bien longtemps et offert de nombreux
sacrifices, Paralios s’irrita, et n’eut plus de doutes sur la
mauvaise doctrine des démons. Il loua le grand Étienne qui
lui avait réellement dit la vérité, et il pria, comme il lui avait
conseillé de le faire : « Créateur de toutes choses » [etc.], en
ajoutant ces paroles du grand Étienne: « Révèle-moi ta vérité
et ne permets plus que je sois séduit par ce démon qui aime le
combat, qui arme les hommes les uns contre les autres et qui les
excite aux querelles, ni par les autres démons pervers qui lui
ressemblent. » On lui avait en effet conseillé d’adresser une prière
au créateur de toutes choses, parce qu’on voulait l’éloigner
aussitôt de l’invocation des dieux des païens et des démons, de
Kronos, dis-je, de Zens, d’Isis, et
de noms de ce genre, et l’habituer petit à petit à la vérité des
doctrines; qu’on voulait qu’il ne reconnût pas d’autre créateur de
toutes choses que Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel le Père a
fait le monde, les principautés (ἀρχαί), les puissances et les
dominations, comme il est écrit : Toutes choses ont été
faites par lui, dit le Théologien,
et rien n’a été fait sans lui. Après cette prière,
Paralios retourna à Alexandrie. Il proférait de
nombreuses paroles contre les dieux des païens et disait avec
David : Tous les dieux des nations sont des démons,
mais le Seigneur est le créateur des cieux.
Il se
moquait d’Horapollon, d’Asklépiodotos, d’Héraïskos,
d’Aminonios et d’Isidore (lequel finit par être
reconnu un magicien manifeste et perturbateur) et du reste des
païens, (raillait) ce qui se passait à Ménouthis, les
impudicités de toute espèce et la lubricité de la prêtresse Isis,
affirmant qu’elle se livrait à la débauche avec quiconque le
voulait, qu’elle ne différait en rien de la prostitué qui se donne
au premier venu.
Les
élèves d’Horapollon, qui étaient livrés à la folie des
païens, ne purent pas supporter les sarcasmes et les reproches de
Paralios. Aussi tombèrent-ils sur lui dans l’école même
où ils étudiaient. Ils avaient attendu le mo men où peu de chrétiens
étaient présents et où Horapollon s’était éloigné.
C’était
le sixième jour de la semaine, qu’on appelle vendredi’, pendant
lequel tous les autres professeurs, pour ainsi dire, avaient
l’habitude d’enseigner et d’expliquer chez eux. Paralios fut roué de
coups; il en eut la tête toute meurtrie et tout son corps fut en
quelque sorte couvert de blessures. Après avoir réussi, mais avec
peine, à échapper en partie à leurs mains — il était de constitution
robuste, — il chercha un refuge et du secours chez les chrétiens,
tandis qu’une foule de païens l’entouraient et lui donnaient des
coups de pied. Or, nous étions présents en ce moment, ayant cours de
philosophie. Les philosophes ainsi qu’Horapollon avaient en
effet l’habitude d’enseigner le vendredi dans l’école (σχολή)
habituelle. Nous nous approchâmes au nombre de trois: moi, Thomas
le sophiste, qui aime le Christ en toute chose (il est comme moi
de Gaza) et Zénodote de Lesbos.
Comme nous nous trouvions constamment dans les saintes églises avec
ceux qu’on appelle (à Alexandrie) Φιλόπονοι, qui sont appelés en
d’autres lieux zélateurs et dans d’autres encore
compagnons, et que nous leur (aux élèves païens) paraissions
dans une certaine mesure redoutables, nous nous approchâmes des
perturbateurs qui étaient nombreux, et nous leur affirmâmes qu’ils
n’agissaient pas bien du tout, en faisant souffrir de la sorte
quelqu’un qui voulait, devenir chrétien. C’était, en effet, ce que
criait Paralios. Les païens voulant nous tromper et nous
tranquilliser par leurs témoignages disaient : « Nous n’avons pas
affaire à vous, mais nous nous vengeons de Paralios comme
d’un ennemi. »
Nous
eûmes beaucoup de peine, à cause de certains perturbateur à arracher
Paralios à ces mains meurtrières. Nous le conduisîmes
aussitôt au lieu dit ῎Ένατον auprès des moines. Nous leur montrâmes
les meurtrissures qu’il avait revues pour la religion chrétienne,
leur fîmes savoir combien il avait souffert injustement pour avoir
blâmé l’erreur des païens, et leur apprîmes qu’il avait offert au
Christ comme de belles prémices les souffrances il avait endurées
pour lui. Aussitôt, le grand Salomon (le supérieur d’Etienne
et d’Athanase les illustres) prit des moines avec lui,
alla à Alexandrie, et fit connaitre ce qui était
arrivé à Pierre, qui était à cette époque le
patriarche de Dieu. Pierre était un homme très capable et d’une
ardente piété. Il excita contre les païens la plupart des notables
de la ville, au nombre desquels se trouvait aussi le sophiste
Aphthonios qui était chrétien et qui avait beaucoup d’élèves.
Aphthonios ordonna aux jeunes gens qui suivaient ses cours d’aller
avec nous et, de nous aider. Nous décidâmes tous d’aller dénoncer
ensemble les païens meurtriers à l’évêque (ἐπίσκοπος) Pierre.
Celui-ci, après nous avoir adjoint son archidiacre (ἀρχιδιάκων)
[diacre] et protonotaire qui est appelé en latin
primicerius, nous envoya auprès d’Entrichios (Ἐντρέχιος)
, qui, en ce temps-là, était préfet (ὕπαρχος) d’Egypte.
Entrichios était un adepte caché des païens et l’assesseur qu’il
avait comme σύμπονος, s’adonnait ouvertement au culte des démons
païens. Ce dernier commença à nous outrager, puis il fit expulser la
grande masse des jeunes gens, et ordonna qu’un petit nombre
seulement exposassent l’affaire. Après le départ des élèves d’Aphtonios,
nous restâmes au nombre de cinq : Pariolos qui, avant le
baptême, était confesseur ; l’illustre Ménas que j ai
mentionné plus haut : Zénodotos de Mytilène,
ville de Lesbos, Démétrios de Suulmone (?), tous les
quatre d’ardents champions (ἀγωνισταί) de la crainte de Dieu. A la
suite de ceux-là, moi, je venais en qualité de cinquième. Lorsque le
préfet (ὕπαρχος) eut appris la gravité de l’affaire, il ordonna que
celui d’entre nous à qui cela plairait, rédigeât un acte
d’accusation comme bon lui semblerait. Paralios écrivit
alors, et accusa certaines personnes d’avoir offert des sacrifices
païens, et d’être tombées sur lui comme des brigands.
Le
préfet (ὓπαρχος) ordonna aux accusés de venir. Lorsque des membres
du clergé (κλῆρος) et du corps (τάγμα) les Φιλόπονοι eurent appris
l’affront fait à ceux qui avaient rivalisé de zèle pour le bien,
qu’ils connurent les sacrifices, et les pratiques païennes qu’on
avait osé accomplir. Ils se soulevèrent subitement contre les
notables, et attaquèrent avec violence l’assesseur du préfet (ὕπαρχος)
en criant : « Il ne convient pas que quelqu’un qui est de religion
païenne soit un assesseur du gouvernement, et prenne part aux
affaires du gouvernement, car les lois et les édits des empereurs
autocrates (αὐτοκτάτορες) le défendent. » Le préfet eut de la peine
à sauver son assesseur quand on le réclama. A nous, il ordonna de
rester tranquilles. Dès lors le peuple se souleva tout entier contre
les païens. Ceux qui avaient été accusés s’étaient en effet enfuis,
à commencer par Horapollon, qui fut cause que tous les
païens furent poursuivis. Le préfet, dans son amour pour eux, ne les
avait pas inquiétés.
A la
nouvelle de ces faits, le grand Étienne nous appela à Ἔνατον,
au couvent de Salomon. Il demanda à Paralios
s’il pourrait montrer les idoles païennes cachées à Ménouthis.
Paralios répondit qu’il les montrerait, qu’il livrerait l’autel
et prouverait les sacrifices qu’on avait osé accomplir. Là-dessus,
nous décidâmes de nouveau, avec le très illustre Salomon,
d’aller faire connaître ces choses à l’évêque Pierre.
Arrivés là, Paralios promit devant Pierre de
montrer les idoles, l’autel et les sacrifices, et de faire connaître
le prêtre de l’erreur idolâtre. Le grand patriarche de Dieu,
Pierre, nous donna alors des membres du clergé (κλῆρος)
et invita par lettre ceux qui habitaient le couvent dit des
Tabennésiotes (Τεννησιώτης) situé à Canope,
de nous aider à extirper et à renverser les dieux démoniaques des
païens.
Après
avoir prié comme il le fallait, on partit pour Ménouthis et
on arriva à une maison, qui était alors totalement couverte
d’inscriptions païennes (hiéroglyphiques). Dans l’un de ses coins,
était bâtie une double muraille. Derrière cette muraille, étaient
cachées les idoles. Une entrée étroite en forme de fenêtre y
conduisait, et c’est par là que s’introduisait le prêtre pour
accomplir les sacrifices. Voulant que notre recherche n’aboutît à
rien, les païens, aidés de la prêtresse qui habitait cette
maison-ils étaient en effet au courant du soulèvement qui avait eu
lieu en ville, avaient bouché l’entrée avec des pierres et de la
chaux. De plus, pour qu’on ne s’aperçût pas du caractère récent de
la maçonnerie et qu’ainsi on ne découvrît la ruse et l’artifice, ils
avaient placé devant cet endroit un meuble (σκευάριον) rempli
d’encens (λίβανος) et de πόνανα (?),
et ils avaient suspendu
au-dessus une lampe (κανδῆλα) qui brûlait alors qu’il faisait plein
jour. Il en résulta que Paralios fut d’abord un peu troublé et
embarrassé, ne sachant ce que l’entrée, en forme de fenêtre, était
devenue. Il découvrit cependant, mais non sans peine, la ruse. Il
fit alors le signe de la croix descendit la lampe, écarta le meuble
et montra l’entrée qui était bouchée en ce moment avec des pierres,
par une maçonnerie récente. Il demanda ensuite aux Tabennésiotes
qui nous accompagnaient pour nous aider, d’apporter une hache,
puis il chargea l’un d’eux d’ouvrir ce qui avait été fraîchement
maçonné, et de faire apparaître l’aspect primitif (de l’ouverture).
Le Tabennésiote entra alors. Quand il vit la multitude des
idoles et qu’il aperçut l’autel couvert de sang, il s’écria en
égyptien: « Il n’y a qu’un seul Dieu », ayant voulu dire par là
qu’il fallait extirper l’erreur du polythéisme nous tendit d’abord
l’idole de Kronos qui était entièrement remplie de sang,
ensuite toutes les autres idoles des démons, puis une collection
variée d’idoles de toutes espèces, notamment des chiens, des chats,
des singes, des crocodiles et des reptiles; car dans le temps les
Égyptiens adoraient aussi ces animaux. Il tendit encore le dragon
rebelle. Son idole était de bois, et il me semble que ceux qui
adoraient ce serpent, ou plutôt que ce dernier en voulant être adoré
de la sorte, rappelaient la rébellion des premières créatures, qui
se fit par le bois (arbre), sur les conseils du serpent. On disait
que ces idoles avaient été enlevées du temple qu’Isis avait
jadis à Memphis par le prêtre de cette époque, quand on
s’était aperçu que le paganisme avait perdu sa force, et qu’il était
aboli. Elles avaient été cachées, comme nous l’avons dit. On
espérait, espoir vain et futile, qu’on ne les découvrirait pas.
Nous
livrâmes aux flammes, à Ménouthis même, celles d’entre les
idoles qui, à cause de leur haute antiquité, étaient déjà en grande
partie détériorées.
Les
païens qui habitaient ce village pensaient, sous l’influence des
démons qui les possédaient, qu’il n’était pas possible que l’on eût
la vie sauve, si l’on infligeait quelque outrage aux idoles; ils
croyaient que l’on périrait sur-le-champ. Nous voulûmes donc leur
montrer par les faits que toute la puissance des dieux païens et des
démons était brisée et abolie depuis la venue et l’incarnation du
Messie, le Verbe de Dieu, qui souffrit pour nous volontairement la
croix, afin de détruire toute la puissance adverse; car il a dit :
J’ai vu tomber Satan comme un éclair du ciel, et je vous
ai donné le pouvoir de fouler aux pieds les serpents et les
scorpions et toute la puissance de l’ennemi. Et ce fut
pour ce motif que nous livrâmes une partie des idoles aux flammes.
Quant aux autres idoles, nous fîmes une description de celles qui
étaient d’airain et qui étaient fabriquées avec un certain art
ingénieux, ainsi que de celles qui étaient en marbre,
de toutes les formes, sans oublier l’autel d’airain et le dragon de
bois. Puis nous envoyâmes cette description en ville, à Pierre,
le patriarche
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en lui demandant de nous apprendre
ce que là nous avions à faire.
Ceux qui
passaient pour être chrétiens à Μénouthis, et ceux qui
faisaient partie du clergé de l’église de ce village, étaient, à
l’unique exception de leur prêtre, tout à fait faibles dans leur
foi, à ce point qu’ils étaient asservis à l’orque les païens leur
donnaient pour qu’ils ne les empêchassent pas d’offrir des
sacrifices aux idoles. Le soir du jour où nous fîmes ces choses
étant arrivé, comme il leur fallait garder les idoles, après que la
description en eut été faite, afin que personne ne les volât, ils
déclarèrent qu’ils craignaient de souffrir quelque vexation
diabolique en les gardant, et estimèrent que c’était à nous à les
garder. De leur côté, les païens habitant Ménouthis pensaient
et disaient que nous mourrions infailliblement pendant la nuit. Le
prêtre, voyant la peur des chrétiens et des clercs, — c’était un bon
fidèle que distinguaient les vertus de la vie monastique ainsi que
celles de la vieillesse, et dont les mœurs étaient simples, — nous
conduisit, après nous avoir offert un repas, dans l’une des chambres
de l’église, où étaient déposées les idoles. Il nous dit : « Je
méprise à ce point les idoles que je les foule aux pieds et que je
leur inflige tous les outrages, ne songeant nullement qu’elles sont
quelque chose ». Puis il pria pour nous et nous invita à garder les
idoles pendant toute la nuit, sans avoir peur. « Lui-même,
disait-il, devait, comme d’habitude s’occuper du service de Dieu. »
Nous
passons donc toute la nuit à garder les idoles. Nous chantions
Que tous ceux-là soient confus qui adorent les ouvrages de
sculpture et qui se glorifient dans leurs idoles;
puis : Les dieux des nations sont des démons; mais le Seigneur
est le créateur des cieux; puis : Les idoles des nations sont
de l’argent et de l’or, c’est un ouvrage de la main de
l’homme. Elles ont une bouche et ne parlent pas….., ainsi
que les paroles qui suivent celles-ci et qui leur ressemblent.
Le
matin, à notre lever, nous trouvons les païens étonnés de nous voir
encore en vie. Tant le culte de certains démons et l’erreur étaient
profondément enracinés chez eux! Nous courûmes alors de nouveau avec
nos moines Tabennésiotes à la maison où les idoles avaient
été trouvées et où les sacrifices avaient eu lieu, et nous la
démolîmes de fond en comble. C’était là en effet l’ordre de
l’archevêque.
Le
dimanche était arrivé, pendant lequel Notre-Seigneur Jésus-Christ
ressuscita du tombeau et brisa le pouvoir de la mort. Tout le peuple
d’Alexandrie, à l’heure de la célébration de l’office,
faisait entendre des milliers d’imprécations contre Horapollon,
et il criait qu’on ne l’appelât plus Horapollon mais
Psychapollon, c’est-à-dire « qui perd les âmes ».
Hésychios, qui est admirable par ses vertus (c’est lui
qui m’apprit ces choses; il a été dans le temps le chef des
Φιλόπονοι,
maintenant il est prêtre) avait excité tout le monde au zèle, avec
l’aide de Ménas, dont nous avons parlé plus haut,
qu’il nous avait semblé bon de laisser en ville. Le patriarche de
Dieu fit connaître à tout le monde dans son allocution la
description des idoles que nous avions envoyée, dans laquelle
étaient indiqués la matière ὕλη) et le nombre des idoles qui avaient
été trouvées. Là-dessus, le peuple s’enflamme, apporte toutes les
idoles des dieux des païens, soit qu’elles se trouvent dans les
bains (βαλανεῖον), ou dans les maisons, les place en tas et y met le
feu.
Nous
revînmes peu de temps après dans la ville. En même temps que les
idoles, nous ramenions aussi leur prêtre avec nous. Il nous avait en
effet été possible, avec l’aide de Dieu, de nous emparer également
de lui. Vingt chameaux avaient été chargés par nous d’idoles
variées, quoique nous en eussions déjà brûlé à Ménouthis,
comme nous l’avons raconté. Nous les introduisîmes au milieu de
la ville, sur l’ordre que nous reçûmes du grand Pierre.
Celui-ci convoqua immédiatement auprès de lui, devant le
Τύκαιον,
le préfet d’Égypte, chefs des corps (τάξις)
de troupes, et tous ceux qui étaient revêtus de quelque charge,
ainsi que le sénat (βουλή),
les grands et les propriétaires (= les
possessores) de la ville. Quand il fut assis avec
eux, il fit amener le prêtre des idoles et lui ordonna de se tenir
debout en un certain endroit élevé. Puis, après qu’on eut exposé les
idoles, il se mit à l’interroger. Il lui demanda ce que signifiait
cette idolâtrie qui s’exerçait sur une matière (ὕλη)
sans âme, lui ordonna de donner le nom de tous les démons et de dire
quelle était la cause de la forme (σχῆμα)
de chacun d’eux. En ce moment, tout le peuple était déjà accouru
pour voir. Il écoutait ce qui se disait, puis se moquait des actions
infâmes des dieux des païens que le prêtre faisait connaître.
Lorsque l’autel d’airain fut arrivé ainsi que le dragon de bois, le
prêtre confessa les sacrifices qu’il avait osé accomplir, et déclara
que le dragon de bois était celui qui avait trompé Eve.
Il tenait en effet cela, disait-il, par tradition, des premiers
prêtres. Il avouait que les païens adoraient le dragon. Celui-ci fut
donc aussi livré au feu, en même temps que les autres idoles. On
pouvait alors entendre en quelque sorte tout le peuple crier: «
Voilà Dionysos, le dieu hermaphrodite! Voilà Kronos
qui haïssait les enfants ! Voilà Zeus, l’adultère
et l’amant des jeunes gens ! Ceci, c’est Athéné, la
vierge qui aimait la guerre; ceci, Artémis, la
chasseresse et l’ennemie des étrangers. Arès, ce
démon-là, faisait la guerre, et Apollon, c’est
celui-là qui a fait périr beaucoup de gens. Aphrodite,
elle, présidait à la prostitution. Il y a aussi parmi eux quelqu’un
qui avait soin du vol. Quant à Dionysos, il protégeait
l’ivresse. Et voici que parmi ces idoles se trouve également le
dragon rebelle! Dans leur nombre, il y a encore des chiens et des
singes, et, en outre, des familles de chats; car ceux-ci également
étaient des dieux égyptiens. » Le peuple se moquait aussi des autres
idoles. S’il y en avait parmi elles qui avaient des pieds et des
mains, il les brisait et criait en plaisantant dans la langue du
pays: « Leurs dieux n’ont pas de karoumtitin (?). Voici
également Isis qui est venue pour se laver! » Puis il
accablait les païens d’une foule de plaisanteries de ce genre, et
faisait l’éloge de Zénon, de pieuse fin, qui tenait à
cette époque le sceptre de l’empire; de Pierre, le
grand patriarche, ainsi que des notables de la ville qui siégeaient
avec lui. Ensuite tout le monde se retira en louant Dieu au sujet de
la destruction de l’erreur des démons, et du culte des idoles. Quant
au prêtre de la turpitude païenne, ordre fut donné de le garder en
vue d’une enquête plus minutieuse.
Après
ces événements, le grand Étienne, s’étant rappelé la fable de
la femme stérile et de l’enfant supposé, et songeant quel grand
menteur était Asklépiodotos, craignit que celui-ci ne
trompât, en Asie, des gens avec cette insanité. Aussi
le grand Salomon conseilla secrètement à l’archevêque
d’ordonner qu’acte (πρᾶξις)
fût dressé des dépositions (ὑπομνήματα)
par le defensor (ἔκδικος)
de la cité, lorsqu’il demanderait que le prêtre des païens fût
soumis à un interrogatoire au sujet de l’enfant. Cela fut fait, et
le prêtre avoua toutes les choses que nous avons déjà racontées, car
c’est de lui que nous les tenons. Quand l’imposture d’Asklépiodotos
fut connue de tout le monde, l’illustre Étienne décida de son
côté le grand Pierre à adresser une lettre synodale (συνοδική)
à Nonnos, l’évêque d’Aphrodisias, dans
laquelle il lui faisait connaître toutes les machinations des païens
que le prêtre, lors de son interrogatoire, avait mises par écrit
(?), au sujet de l’enfant supposé, et dans laquelle il l’exhortait à
révéler à tous l’histoire de cette fable. Mais cette lettre synodale
ne fut pas remise. Celui qui avait été chargé de la porter, avait
été, à son arrivée en Carie, corrompu par un présent,
comme nous finîmes par l’apprendre. Il s’ensuivit que les païens d’Aphrodisias
crurent quelque temps que l’histoire de cette fable était vraie,
jusqu’au moment où le juge Adraste s’émut de la chose —
c’était un homme pieux, qui était le
σχολαστικός
du pays — et prit soin de faire
venir d’Alexandrie en Carie, par l’entremise du
préfet d’Égypte de cette époque, une copie de l’acte concernant
cette fable.
Paralios, après
avoir offert à Dieu un exploit de ce genre, reçut le baptême de
rédempteur lorsque la fête de Pâques arriva, en même temps que
beaucoup de païens qui avaient été pleins de zèle pour l’idolâtrie
jusqu’à leur vieillesse, et avaient servi longtemps les démons
pervers. Avec lui fut aussi baptisé l’admirable Urbanus,
qui est aujourd’hui, dans cette ville impériale,
professeur de grammaire latine,
et Isidore de Lesbos, frère de Zénodotos
que j’ai mentionné plus haut, ainsi que beaucoup d’autres. Il reçut
le baptême, après avoir brûlé auparavant les formules d’invocation
aux dieux des païens, c’est-à-dire, aux démons, qu’il possédait.
Ceux-ci le tourmentant en effet avant le baptême divin et le
remplissant d’épouvante pendant la nuit, depuis que les idoles
avaient été brûlées, il m’avait fait venir chez lui, pour me
demander ce qu’il devait faire. Je me rendis auprès de lui, ayant
avec moi un livre des chrétiens et voulant lui lire l’homélie
d’exhortation de Grégoire le Théologien (θεολόγος),
relative au baptême rédempteur. Je le trouvai, à la suite d’une
lutte avec les démons, tout en nage et très abattu. Il pouvait à
peine respirer, disait-il, sous l’influence des paroles chrétiennes.
Je lui demandai s’il n’avait pas par hasard des formules
d’invocation aux dieux des païens. Il avoua, lorsqu’il eut fait
appel à son souvenir, qu’il possédait des papiers (χάρτης)
de ce genre. Il m’entendit alors lui dire : « Si tu veux être
délivré de l’obsession des démons, livre ces papiers (χάρτης)
aux flammes. » C’est ce qu’il fit aussi devant moi, et, à partir de
ce moment, il fut délivré de l’obsession des démons. Je lui lus
après cela l’homélie d’exhortation du divin Grégoire.
Lorsqu’il eut entendu ces paroles : « Mais vis-tu dans le monde et
es-tu souillé par les affaires publiques, et te serait-il pénible de
perdre la miséricorde divine? Le remède est simple : si c’est
possible, fuis le forum et sa belle société; attache-toi les ailes
de l’aigle ou plutôt de la colombe, pour parler d’une façon plus
appropriée. (Qu’y a-t-il, en effet, de commun entre toi et César, ou
les affaires de César?) Tu t’arrêteras là où n’existe pas le péché
ni la noirceur, là où il n’y a pas de serpent qui mord dans le
chemin et qui t’empêche de marche dans la voie de Dieu. Arrache ton
âme de ce monde, fuis Sodome, fuis l’incendie, fais route sans te
retourner de peur que tu ne te figes en pierre de sel, sauve-toi sur
la montagne de crainte que tu ne périsses. » Lorsque, dis-je,
Paralios eut entendu la lecture de ce passage, il s’écria : «
Prenons donc des ailes et envolons-nous vers la philosophie divine
avec
le baptême rédempteur. » Ce fut avec cette pensée qu’il s’approcha
du divin baptême et qu’il fut initié aux mystères divins. Le
huitième jour après le baptême, quand il devait quitter les
vêtements des [nouveaux] baptisés, il emmena mon frère Étienne,
qui étudiait les lettres et apprenait la médecine, vers
l’allégresse de la vie monastique. Il l’emmena pendant la nuit, à
mon insu, parce qu’il m’avait trouvé trop faible, pour dire la
vérité
courut avec lui à
Ἐνατον,
et alla au couvent du grand Salomon, auprès de
l’illustre Étienne. Après avoir supplié ardemment son frère
Athanase, il prit l’habit (σχῆμα)
monastique et embrassa la philosophie divine, parmi eux, en même
temps que mon frère.
Paralios
s’occupa alors de ses deux autres frères, qui étaient païens à
Aphrodisias. L’un d’eux était le
σχολαστικός
de la contrée, et s’appelait
Démocharès (Δημοχάρης);
l’autre s’appelait Proclos et était le sophiste (σοξιστής)
de la ville. Il leur écrivit une lettre d’admonition, dans laquelle
il leur raconta tout ce qui s’était passé. Il les exhortait à
tourner immédiatement leur regard vers le chemin du repentir et à
embrasser le culte d’un seul Dieu, je veux dire, de la Trinité
sainte et consubstantielle. Il les engageait à apprendre par les
faits quelle était la puissance du christianisme. Il leur rappela
des histoires comme celle de la rébellion d’Illos et de
Pamprépios. « Souvenez-vous, leur disait-il, combien de
sacrifices nous offrîmes, comme païens, en Carie, aux
dieux des païens, lorsque nous leur demandions, à ces prétendus
dieux, tout en disséquant des foies et en les examinant par la
magie, de nous apprendre si avec Léontios, Illos et
Pamprépios et tous ceux qui se rebellèrent avec eux, nous
vaincrions l’empereur Zénon, de pieuse fin. Nous
reçûmes alors une multitude d’oracles en même temps que des
promesses, comme quoi l’empereur Zénon ne pouvait pas
résister à leur choc, mais que le moment était venu où le
christianisme se désagrégerait et disparaîtrait, et où le culte des
païens allait reprendre. Cependant l’événement montra que ces
oracles étaient mensongers, comme cela arriva pour ceux rendus par
Apollon à Crésus le Lydien et à Pyrrhus
l’Épirote. »
— Et, continua-t-il, vous
connaissez aussi les faits suivants « Lorsque nous sacrifiions dans
la suite, dans ces lieux situés hors ville, nous restions privés de
tout signe, de toute vision, de toute réponse, quoique auparavant
nous fussions habitués à éprouver quelque illusion (φαντασία)
de ce genre. En proie à la perplexité, nous recherchions et nous
nous demandions ce que cela voulait dire. Nous changions les lieux
des sacrifices. Malgré cela, les soi-disant dieux restaient muets et
leur culte demeurait sans effet. Aussi, nous pensâmes qu’ils étaient
irrités contre nous, et l’idée nous vint finalement que peut-être
quelqu’un de notre suite avait une volonté opposée à ce que nous
accomplissions. Nous nous interrogions donc mutuellement et nous
nous demandions si nous étions tous du même sentiment. Nous
trouvâmes alors qu’un jeune homme avait fait le signe de la croix au
nom du Christ et qu’il avait rendu par là notre sollicitude vaine et
nos sacrifices inefficaces, les soi-disant dieux fuyant souvent le
nom [du Christ] et le signe de la croix. Nous ne savions comment
expliquer la chose. Asklépiodotos ainsi que les autres
fornicateurs et magiciens se mirent alors à la recherche. L’un d’eux
crut avoir imaginé la solution de la difficulté et dit : « La croix
est un signe qui indique qu’un homme a péri de mort violente. C’est
donc avec raison que les dieux ont en horreur des figures (σχῆμα)
de ce genre. » — Après avoir rappelé ces faits à ses frères dans la
lettre qu’il leur envoya, Paralios le serviteur de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, ajouta : « Et si cela est vrai, mes
frères, et si ces dieux fuient ce qui rappelle et indique que des
gens ont péri de mort violente, pourquoi dans les mystères relatifs
au Soleil, les soi-disant dieux ne se manifestent-ils aux initiés
que lorsque le prêtre produit une épée souillée du sang d’un homme
qui a péri de mort violente? Aussi, les amis de la vérité
peuvent-ils se rendre compte par ceci que le signe de la croix fait
par le jeune homme sur son front a montré que les soi-disant dieux
n’étaient rien. D’autre part, l’invocation du nom de Jésus-Christ,
comme elle est l’invocation de Dieu et qu’elle inspire de la crainte
aux démons pervers, a montré que celui qui a fui pouvait être
vaincu.
Les meurtres violents des hommes sont très recherchés par les dieux
des païens, vu que ce sont des démons pervers. Ils ressemblent à
leur père le diable, au sujet duquel notre Sauveur a dit :
Celui-là a été homicide dès le commencement. C’est pour
ce motif qu’ils ne consentent à faire leurs révélations qu’à la vue
d’un homme qui a été tué violemment à la suite de leurs
machinations, et qui provoque leurs indications. C’est encore pour
ce motif qu’ils ont ordonné qu’on leur sacrifiât des êtres humains,
comme le disent ceux qui ont raconté l’histoire de leur culte, et
même Porphyre qui sévit contre la vérité. »
C’est
par ces histoires et ces admonitions que Paralios cherchat
détourner ses frères de l’erreur, sous l’inspiration du grand
Étienne et de son frère Athanase. Lui-même
s’appliqua avec une telle allégresse à la philosophie divine que
beaucoup de jeunes étudiants l’imitèrent et embrassèrent la vie
monastique dans le couvent de l’admirable Étienne, qui
les prit tous dans les filets de la doctrine apostolique. Jean
aussi eut le plaisir de jouir de son amitié. Chacun d’eux est
aujourd’hui directeur dans ce couvent et égale en vertu ses
prédécesseurs l’un d’eux avait été l’adjudant (βοηθός)
de la cohorte (τάξις)
du préfet (ὕπαρχος)
d’Égypte, l’autre cultiva la vraie philosophie, après
avoir étudié d’une façon remarquable la médecine et la philosophie
profane. Le grand Étienne fut le maître d’hommes de cette
valeur.
Quand,
au bout d’un certain temps, Étienne, le maître commun
de nous tous, fut retourné à Dieu, Paralios se rendit avec
son frère, l’illustre. Athanase, en Carie,
pour convertir ses frères; il y fonda une communauté chrétienne
dont il abandonna, comme de juste, la direction à son frère et à son
père. Peu de temps après, il partit pour « les tentes éternelles »
et fut reçu dans le sein d’Abraham. Athanase vécut
encore quelque temps. Il baptisa aussi en Carie beaucoup de païens,
fit naître par sa conduite le zèle chez beaucoup de gens, puis il
rejoignit le divin Étienne et Paralios, qui fut
leur disciple commun, et parvint à la fin et à la félicité réservées
à ceux qui ont vécu dans la crainte de Dieu.
*****************
Mais que
personne ne pense que cette histoire est étrangère à notre sujet.
Nous avons pour but de montrer que l’accusation portée contre le
grand Sévère n’est nullement fondée. Bien loin d’avoir jamais mérité
l’accusation et le reproche d’idolâtrie, il était constamment avec
ceux qui firent preuve de ce zèle contre les païens, et louait leur
conduite. Il était chrétien par sa foi, mais n’était encore que
catéchumène
en ce moment. Comme il s’appliquait alors à l’étude des sciences
profanes, il ne put pas se montrer tel que tout le monde le vit en
Phénicie. Cependant le fait suivant prouve qu’à
Alexandrie également il était bien au-dessus de toute opinion
païenne. Quelque temps après la destruction des idoles, le pieux
Ménas, qui prophétisa à Sévère la dignité d’évêque,
quitta la vie humaine. Il fit immédiatement route vers celui qu’il
aimait, orné de nombreuses vertus : de la virginité de l’âme et du
corps, de l’amour du prochain, de l’humilité, d’une charité
parfaite, et d’une grande douceur.
A cette
époque, j’étais affligé d’une maladie corporelle, et les païens
pensaient que nous recevions notre châtiment pour ce que nous avions
fait à leurs dieux, dans notre zèle pour la religion, et pour les
idoles que nous avions brûlées. Ils répandaient le bruit que moi
aussi je mourrais certainement cette époque. Lorsque, dans la suite,
par un miracle dû à la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, j’eus
été délivré de la maladie, je prononçai l’éloge de l’illustre
Ménas dans un discours funèbre. J’y fis mention de la
destruction des idoles païennes; j’y racontai leur anéantissement
par le feu, devant tout le peuple de la ville; enfin, tout ce qui
s’était passé, je le rappelai, comme il fallait, sur la tombe de
celui qui, par sa grande aménité et son amour du prochain, faisait
même l’admiration des païens, avant le zèle que l’on montra contre
eux. Le grand Sévère se réjouissait tellement et éprouvait
une si vive joie en entendant ce discours, et il se glorifiait à ce
point des paroles proférées par moi contre les païens, comme de
propres paroles à lui, qu’il m’applaudissait plus que tout le
inonde. Pendant ce temps, les païens, que nous avions invités à
venir écouter, et qui étaient venus sans savoir ce qui allait être
dit, pleuraient en quelque sorte sur leurs malheurs, et l’un d’eux
s’écria tout en colère : « Si tu avais l’intention de parler contre
les dieux, pourquoi nous as-tu amenés auprès de la tombe de ton ami?
»
J’ai été
obligé de dire ces choses à cause du calomniateur en question. Car
je ne cherche pas à raconter mes affaires, qui sont celles d’un
homme plongé dans le péché et indigne d’écrire l’histoire non
seulement du grand Étienne, d’Athanase et de
Paralios, mais encore de Ménas, ainsi que
des amis de ceux-là qui rivalisèrent de zèle avec eux, et
principalement de Sévère, qui est la cause du présent
opuscule, et dont nous allons également raconter le séjour en
Phénicie.
*
* *
Lorsque
le très illustre Sévère fut sur le point de quitter
Alexandrie et de se rendre en Phénicie dans le but
d’étudier le droit (νόμοι)
et avec l’idée de devenir avocat (δικανικός),
il m’engagea à partir avec lui. Mais je lui dis que j’avais encore
besoin d’étudier davantage les discours des rhéteurs et des
philosophes, à cause des païens, qui se glorifiaient et
s’enorgueillissaient tant de ces études, afin que nous les
combattions aussi publiquement sous ce rapport. Sévère me précéda
donc en Phénicie, mais d’une année seulement. Celle-ci écoulée, je
me rendis à mon tour à Béryte pour étudier le jus civile.
Je m’attendais à devoir souffrir de la part des étudiants appelés
edictales (ἠδικτάλιοι)
tout ce qu’endurent ceux qui arrivent nouvellement dans cette ville
pour apprendre les lois. Ils n’endurent, en vérité, rien de honteux.
On accable seulement de plaisanteries ceux que l’on voit, et on
éprouve ainsi sur l’heure la possession de soi-même de ceux dont on
se moque et dont on s’amuse. Je m’attendais surtout à avoir à
souffrir de la part de Sévère, aujourd’hui cet homme
sacré. Je pensais, en effet, qu’étant encore jeune, il imiterait la
coutume des autres. J’entrai le premier jour dans l’école (σχολή)
de Léontios, fils d’Eudoxios, qui
enseignait alors le droit (νόμοι)
et qui jouissait d’une grande réputation auprès de tous ceux qui
s’intéressaient aux lois. Je trouvai l’admirable Sévère,
assis avec beaucoup d’autres auprès de ce maître pour écouter
les leçons sur les lois. Alors que je croyais qu’il serait un ennemi
pour moi, je vis qu’il était favorablement disposé à mon égard. Il
me salua en effet le premier, en souriant et en se réjouissant.
Aussi remerciai-je Dieu pour ce prodige remarquable. Lorsque nous,
qui étions à cette époque les dupondiι,
nous nous fûmes retirés, ayant terminé notre exercice (πρᾶξις),
tandis que ceux qui étaient de l’année de Sévère restaient encore
pour leur compte, je me rendis en courant à la sainte église appelée
Ἀναστασία
(église de la Résurrection)
afin de prier. Ensuite j’allai à celle de la Mère de Dieu,
qui est située à l’intérieur de la ville, tout près du port (λιμήν).
Ma prière achevée, je me promenai devant l’église même.
Peu de
temps après, cet homme de Dieu (Sévère) vint auprès de moi. Il me
salua gaîment et me dit : « Dieu t’a envoyé à cause de moi dans
cette ville. Apprends-moi donc comment je dois être sauvé. » Je
levai alors de joie les yeux au ciel, et je remerciai Dieu d’avoir
inspiré à Sévère cette pensée et de l’avoir fait songer à son salut.
Puis je lui dis : « Puisque ta question a trait aux choses de la
piété, viens — je l’avais pris par la main, — je vais te conduire au
temple de la Mère de Dieu, et là je te raconterai ce
que les saintes Écritures et les saints Pères m’ont appris. »
Lorsqu’il eut entendu ces paroles, Sévère me demanda si j’avais avec
moi des livres du grand Basile, des illustres
Grégoire et des autres docteurs. Je lui répondis que j’apportais
beaucoup de leurs écrits. Là dessus, il vint avec moi au temple de
la Mère de Dieu. Après avoir d’abord récité avec moi
les prières qu’il fallait, il me posa la même question [qu’au
début]. Commençant alors par le livre de la Genèse, qui a été écrit
par le grand Moïse, je lui fis voir la sollicitude de
Dieu à notre égard; comment après avoir créé tout ce qui existe et
nous avoir tirés également du néant, il avait placé nos premiers
parents dans le paradis (παράδεισος);
comment il leur avait donné, comme à des êtres doués de raison et
maîtres d’eux-mêmes, la loi de salut, au sujet de ce qu’ils devaient
faire; et comment, après avoir méprisé les commandements souverains,
par la tromperie du serpent, ils avaient perdu cette vie heureuse,
et échangé l’immortalité contre la mort, dont la loi les avait
menacés d’avance. Tout en lui disant cela, je lui montrais Adam
et Ève
— ils étaient peints dans le temple —
revêtus de tuniques de peau, après leur expulsion du paradis (παράδεισος).
Je lui fis voir ensuite les nombreuses souffrances qui étaient
résultées de là, toute la ruse et la puissance des démons que nous
avions déchaînées volontairement contre nous, en obéissant à celui
qui est à la tête de toute révolte. Puis je mentionnai la
miséricorde de Dieu envers nous. Dans sa bonté il ne permit pas que
sa créature pérît, elle, qui aurait été incorruptible, qui n’aurait
point été sujette aux souffrances de la nature humaine, une fois
sortie du néant pour entrer dans le devenir;
elle, qui aurait reçu l’immortalité supérieure à notre nature, si
elle avait gardé la loi de Dieu. Ensuite je continuai : « Après la
loi naturelle, Dieu nous donna aussi la loi écrite par
l’intermédiaire de Moïse. Il vint également en aide à
la nature par l’entremise de beaucoup de saints prophètes. Mais
quand il vit que la plaie avait besoin d’un remède plus puissant, le
Verbe de Dieu et le Dieu Créateur nous visita, après avoir été fait
homme par la volonté du Père et du Saint-Esprit. Soleil levant,
il brilla, des hauteurs sur nous qui étions assis dans les
ténèbres et dans l’ombre de la mort ! Il fut conçu du
Saint-Esprit dans la chair, et sortit par la vertu du Saint-Esprit
d’un sein virginal et immaculé Il laissa à sa mère sa virginité. Ce
fut là la première preuve qu’il donna de sa divinité : il produisit
par un miracle une conception sans semence et sans tache, et un
enfantement au-dessus de la nature. Il voulut ensuite nous arracher
à la puissance du diable, ce rebelle à qui nous avions vendu notre
âme, et accepta volontairement la croix pour nous dans son corps. Il
livra son corps à la mort comme prix de notre rançon, et ressuscita
le troisième jour, ayant brisé la tyrannie du diable et des démons
pervers, ses auxiliaires, ainsi que le pouvoir de la mort. Il nous
ressuscita avec lui, nous fit asseoir avec lui dans le ciel, comme
le dit l’Écriture et nous montra la nouvelle voie du salut, laquelle
mène au ciel. Après avoir conquis toute la terre au moyen de ses
apôtres, il abolit les oracles de la magie païenne, et les
sacrifices des démons, établit une seule église catholique (καθολική)
sur toute la terre, et nous apprit à nous repentir et à chercher un
refuge en lui au moyen du baptême rédempteur, lequel symbolise la
sépulture de trois jours et la résurrection du Sauveur de nous tous,
le Christ. » Lorsque j’eus encore produit de nombreuses autres
preuves [de la divinité du Christ], dont les Evangiles (Εὐαγγέλια)
sont remplis, je dis à Sévère : « Il est donc nécessaire, mon ami,
que toutes les personnes intelligentes cherchent un refuge en lui
par le baptême qui vivifie.
— Tu as
bien parlé, me dit-il, mais maintenant il nous faut arrêter une
ligne de conduite. Car je m’occupe ici de l’étude des lois.
— Si tu
veux m’en croire, lui dis-je, ou plutôt si tu veux en croire les
saintes Écritures et les docteurs universels de l’Église, fuis
d’abord les spectacles honteux, les courses de chevaux et le théâtre
(θέατρον),
et ceux où l’on voit des bêtes opposées à de pauvres malheureux.
Ensuite, garde ton corps en état de pureté, et offre chaque jour à
Dieu, après l’étude des lois, les prières du soir dans les saintes
Églises. Il convient en effet que nous, qui avons la connaissance de
Dieu, nous accomplissions les devoirs du soir dans les saintes
Églises, pendant que les autres passent d’ordinaire leur temps à
jouer aux dés (κύβοι),
à se vautrer dans l’ivresse, à boire avec des prostituées et même à
s’avilir complètement.
Sévère
promit de faire et d’observer cela. « Seulement, dit-il, tu ne feras
un moine de moi. Car je suis étudiant en droit (δικανικός),
et j’aime beaucoup les lois. Maintenant, si tu veux encore autre
chose, dis-le. »
Plein de
joie, je lui répondis : « Je suis venu dans cette ville pour étudier
le jus civile, car j’aime la science des lois (δικανική).
Mais, puisque tu te soucies aussi de ton salut, je vais te soumettre
un projet qui, sans nuire à l’étude des lois et sans exiger beaucoup
de loisir, nous procurera la connaissance de la rhétorique, de la
philosophie, la science des saintes Ecritures et de la théologie.
— Quel
est ce projet ? dit-il. Car tu me fais là une grande et forte
promesse, s’il est possible que, sans négliger l’étude des lois,
nous puissions également acquérir d’aussi grands biens, surtout le
dernier qui est le plus important de tous.
— Nous
étudions, les lois, d’après ce que j’ai appris, pendant toute la
semaine, sauf le dimanche et le samedi après-midi.
— En
effet, nous assistons aux leçons que nos maîtres nous font sur les
lois pendant les autres jours de la semaine, nous les répétons
ensuite pour notre compte chez nous, et nous nous reposons pendant
la moitié du jour qui précède le dimanche, jour (dimanche) que même
la loi (νόμος)
civile (πολιτικός)
nous ordonne de consacrer à Dieu.
— Si
donc cela te convient, lui dis-je, nous réserverons pour ce
moment-là les écrits des docteurs de l’Église, c’est-à-dire ceux du
grand Athanase, de Basile, de
Grégoire, de Jean, de Cyrille,
etc. Laissant nos condisciples s’occuper comme bon leur semble,
nous nous délecterons dans la théologie, et dans les sentences et la
science profonde des écrits ecclésiastiques.
— C’est
pour ce motif, mon ami, me répondit Sévère, que je t’ai demandé, dès
l’abord, si tu apportais avec toi tous ces livres. Or, maintenant
que, grâce à Dieu, nous sommes convenus de quelque chose, tu vas
nous faire obtenir les biens dont tu as parlé, car je ne te
quitterai pas pendant les moments en question. »
D’accord
tous les deux, nous nous mîmes à l’œuvre. Nous commençâmes par les
traités que différents auteurs ecclésiastiques ont écrits contre les
païens. Nous lûmes après cela l’Hexaméron du très sage
Basile, ensuite ses discours détachés et ses lettres,
puis le traité adressé à Amphilochios, la réfutation
qu’il a écrite contre Eunornios, ainsi que
l’allocution (προσφωνητικόν)
aux jeunes gens, dans laquelle il leur apprend comment ils tireront
profit des ouvrages des païens. Ensuite, continuait nos lectures,
nous en arrivâmes aux écrits des trois divins Grégoire et à
ceux des illustres Jean et Cyrille. N’y avait
que Sévère et moi qui fissions ces lectures profitables pendant les
moments indiqués. Mais nous nous rendions chaque jour de compagnie à
l’église pour accomplir les devoirs du soir. Nous avions avec nous
l’admirable Evagrios, que Dieu avait envoyé exprès à
Béryte pour pousser beaucoup de jeunes gens à échanger la
vanité du barreau (δικανική)
contre la philosophie divine. Cet Evagrios était de Samosate,
et avait été instruit dans les écoles (σχολαί)
d’Antioche la grande. Quand il était jeune, il lui arriva de
se laisser entraîner par les passions de la jeunesse, et il alla
voir un spectacle qui se donnait clans cette ville. Une sédition (στάσις)
eut lieu et il y fut blessé. Corrigé par cette blessure, il prit en
horreur les spectacles honteux, et fréquenta depuis lors avec
assiduité les saintes Églises, s’étant joint à ceux qui, en ce
temps-là, chantaient toute la nuit dans l’église du très illustre
Étienne, le protomartyr.
C’étaient des personnes adonnées à la philosophie pratique, qui,
sous la plupart des rapports, ne le cédaient en rien aux moines.
Après s’être appliqué à la science préliminaire, Évagrios voulut
s’élever jusqu’à la philosophie et embrasser complètement la vie
monastique. Mais son père le força d’aller en Phénicie,
pour y étudier les lois, à l’époque où moi aussi je m’y rendis.
A la même époque, l’admirable Élisée, originaire de la
Lycie, vint aussi à Béryte pour le même motif. Élisée
était un homme très doux et très humble. Il était de mœurs simples,
et plein de compassion pour ceux qui ont besoin de nourriture et de
vêtements.
Ayant
trouvé dans Évagrios et Élisée en quelque sorte des nourriciers
pour moi et ayant vu qu’ils préparaient à l’amour de Dieu, je leur
proposai d’offrir ensemble à Dieu les prières du soir dans les
saintes Églises. La chose fut décidée, et nous nous réunissions
chaque soir dans l’église dite de la Résurrection,
après nous être appliqués à l’étude des lois et aux travaux qui s’y
rapportent. Il s’ensuivit que beaucoup d’autres se joignirent à
nous, et en tout premier lieu, l’illustre Sévère,
selon ce qui avait été convenu entre nous. Après Sévère, vinrent
Anastase d’Edesse, Philippe de Pataru,
ville de Lycie, et Anatolios d’Alexandrie.
C’étaient des personnes pieuses, et les premières dans la
connaissance du jus civile, car elles le travaillaient
et l’étudiaient depuis quatre ans. Elles demandèrent à être reçues
dans nos rangs. Nous avions aussi avec nous Zénodore,
de pieuse mémoire, qui vint après nous à Béryte. Il
était comme moi originaire du port de Gaza. Après avoir
brillé ici, dans le Portique
(στοά)
royal,
parmi les avocats (σχολαστικοί),
il a quitté dans ces derniers temps la vie humaine. Faisait encore
partie avec nous de cette société, Étienne de Palestine,
qui arriva également dans la suite [à Béryte].
Evagrios était le président
de cette sainte association. C’était un philosophe pratique de
Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il jeûnait en quelque sorte tous les
jours, et consumait la grande fleur de la jeunesse dans la
philosophie divine. Il torturait son corps par les veilles et ne se
baignait jamais, sauf un seul jour: c’était la veille de Pâques, la
fête de la grande résurrection de notre Sauveur à tous, le Christ.
Le grand
Sévère rivalisa peu à peu avec lui dans la pratique et dans
la théorie. Il étudiait, en effet, avec moi de la manière qui a été
dite. Une fois qu’il fut versé dans les écrits des docteurs de
l’Église et qu’il eut reçu d’eux la partie théorique (θεωρία)
de la philosophie divine, ainsi que les principes de la philosophie
pratique, il se tourna vers la manière d’agir de l’admirable
Évagrios, comme vers un exemple, un type (τύπος)
et un modèle (εἰκών)
vivants. Il voyait en lui un philosophe chrétien, qui ne se
contentait pas de la théorie, comme moi et beaucoup d’autres, mais
qui abordait aussi la pratique, imitait donc Évagrios et ses
perfections, en torturant comme lui son corps par le jeûne. Il
s’efforçait d’égaler sa chasteté et ses autres vertus en s’abstenant
de manger de la viande, non pas parce qu’elle est mauvaise, comme le
disent les Manichéens, mais parce qu’en s’en
abstenant, on se rapproche davantage de la philosophie. Il ne
prenait pas de bains pendant la plus grande partie de l’année, et
finit pas ne plus en prendre que le même jour qu’Évagrios.
Sur ces
entrefaites, il arriva que des étudiants en droit de Béryte
se firent un grand renom dans la magie. C’étaient Georges,
originaire de la ville de Thessalonique, qui est
la première ville de l’Illyricum, Chrysaorios de
Tralles, ville d’Asie; Asklépiodotos d’Héliopolis,
ainsi qu’un Arménien, et d’autres individus de
leur espèce. Ils étaient soutenus par Jean, surnommé
le Foulon, originaire de Thèbes en Egypte, et
ils ne cessaient de machiner des choses impies comme les suivantes.
Ils
réunirent de tous côtés des ouvrages de magie, et les montrèrent à
des personnes qui se complaisaient dans les menées des
perturbateurs.
Tout le monde pensa donc qu’ils allaient accomplir un meurtre
abominable. Le bruit se répandit d’ailleurs sur leur compte qu’ils
méditaient de sacrifier pendant la nuit, dans le cirque, un esclave
éthiopien appartenant à ce Thébain. Ils voulaient se
concilier, à ce qu’ils disaient, par ce forfait abhorré de Dieu, le
démon qui leur était attaché, et lui faire accomplir ainsi, à ce
qu’ils supposaient, ce qu’ils projetaient. Leur but général était de
commettre n’importe quelle action criminelle et leur but particulier
d’amener de force au maître de cet esclave, par le désir de l’amour
et la violence des démons, une femme qui vivait dans la chasteté et
dont il était éperdument amoureux. Ils conduisirent donc cet
esclave, comme pour quelque autre motif, dans le cirque, au milieu
de la nuit. Mais au moment où ils allaient commettre ce crime, Dieu
qui se soucie de ce que font les hommes, eut pitié de ce malheureux
esclave et fit passer des gens en cet endroit. Effrayés de leur
propre audace ainsi que de cet incident imprévu, ils prirent la
fuite, et l’Ethiopien trouva de la sorte l’occasion de
s’échapper de leurs mains meurtrières, déjà prêtes à le mettre à
mort.
Cet
esclave fit connaître l’attentai mené contre lui à un
compatriote de son maître, qui était un très bon chrétien et
craignait le jugement de Dieu. Ce compatriote, vu l’intérêt qu’il
portait au maître de l’esclave et la pitié qu’il ressentait pour
l’esclave lui-même, nous fit part de la tentative criminelle de ces
personnes, ainsi que de leur désir de meurtre, et sollicita pour
l’âme de son compatriote, assiégée par les démons, un secours
chrétien. Il s’intéressait en effet, disait-il, à celui-ci, en sa
qualité de compatriote. Lorsqu’il nous eut appris ces choses, nous
lui demandâmes si son compatriote possédait des livres de magie; car
le fait qu’il était magicien était en quelque sorte connu de tous
ceux qui étudiaient les lois dans cette ville. — Oui, dit-il, l’Éthiopien
en a aussi parlé. — Nous décidâmes alors, moi, Evagrios,
Isidore et Athanase
— ces deux-ci étaient d’Alexandrie,
c’étaient deux frères animés d’une ardente piété — ainsi que
celui qui nous avait fait connaître ces choses, de nous adjoindre
Constantin et Polycarpe, qui étaient de Béryte,
pour délibérer sur ce que nous avions à faire. Le premier
exerçait depuis longtemps la profession d’avocat dans cette ville;
le second était soldat dans la cohorte du préfet. Tous les deux
avaient l’expérience des affaires, et fréquentaient avec nous les
saintes Églises. De plus, Constantin passait pour être l’ami
de celui qui avait été accusé de choses aussi graves. Nous les mîmes
au courant des faits, comme il le fallait. Après avoir délibéré
beaucoup sur les moyens à employer pour délivrer, avec l’aide de
Dieu, cet homme de l’erreur des démons et du danger (κίδυνος)
qui le menaçait, nous décidâmes de nous rendre tous ensemble chez
lui, de lui parler le langage de l’amitié et de lui dire que nous
venions auprès de lui comme auprès d’un frère, que nous nous
intéressions à sa bonne réputation (ὑπόλεψις)
et que nous voulions examiner ses livres à cause du soupçon auquel
il était en butte; que nous étions en état, avec l’aide de Dieu, de
dissiper le bruit répandu sur son compte dans toute la ville, si
nous trouvions qu’en réalité il n’y prêtait pas.
Cette
décision nous parut excellente et nous nous rendîmes chez lui. Il
nous reçut tant à cause de son compatriote, et de son ami
Constantin, que parce que nous avions tous l’air doux et
l’aspect humble. Nous lui fîmes alors part, avec toute la douceur
voulue, des choses dont nous étions convenus entre nous, après
l’avoir prié auparavant d’accueillir en frère nos paroles et de ne
pas prendre en mauvaise part notre admonition. Comme il avait caché
ses livres de magie sous le siège de sa chaise, qu’il avait fait
faire pour eux en forme de caisse (θήκν),
et qui était dérobée à la vue de ceux qui se rendaient auprès de
lui, il nous répondit avec assurance. « Puisque tel est votre bon
plaisir, à vous qui êtes des amis, examinez mes livres, comme vous
voudrez. »
Cela
dit, il fit apporter tous les livres qui étaient placés en vue dans
sa maison. N’y ayant rien trouvé, après les avoir examinés, de ce
que nous cherchions, l’esclave de cet homme, dont on avait comploté,
ainsi qu’il l’avait dit, l’immolation et le meurtre, — nous indiqua
furtivement la chaise de son maître, en nous donnant à entendre par
signes que si nous enlevions seulement une planche, aussitôt les
livres que nous cherchions apparaîtraient. C’est ce que nous fîmes.
Lorsqu’il s’aperçut que son artifice était connu de tout le monde,
il se jeta sur sa face et nous supplia, les larmes aux yeux, de ne
pas le livrer aux lois; nous étions des chrétiens et pénétrés de la
crainte de Dieu. Nous lui répondîmes que nous n’étions pas venus
auprès de lui pour lui faire du mal, comme Dieu en était témoin,
mais dans le désir de sauver et de guérir son âme. Il devait
toutefois brûler de sa propre main ces livres de magie, dans
lesquels il y avait certaines images des démons pervers, des noms
barbares, des indications présomptueuses et nuisibles, et qui
étaient remplis d’orgueil et convenaient tout à fait aux démons
pervers. Certains d’entre eux étaient attribués à Zoroastre
le mage, d’autres à Ostanès le magicien, enfin d’autres à
Manéthon. — Il promit de les brûler, et ordonna qu’on apportât
du feu. Entre-temps, il nous racontait qu’étant tombé amoureux d’une
femme, et qu’ayant pensé qu’à l’aide de ces livres, il triompherait
de son refus d’avoir commerce avec lui, il avait eu recours à la
perversité de cet art. Il ajouta que l’art des magiciens était
tellement impuissant et que ses promesses étaient tellement vaines
que cette femme le haïssait encore davantage; à cause d’elle, non
seulement lui, mais beaucoup d’autres encore, s’étaient adonnés à la
magie et à la sorcellerie. Il en énuméra aussi les noms, en disant
qu’ils possédaient également des livres de ce genre. Lorsqu’on lui
eut apporté le feu, il y jeta, de sa propre main, ces livres de
magie. Il remerciait Dieu, disait-il, d’avoir daigné le visiter et
de l’avoir libéré de la servitude et de l’erreur des démons. Il
était en effet chrétien, déclarait-il, et fils de parents chrétiens,
mais il avait erré pendant ce temps-là et avait adoré les idoles,
afin de se concilier les démons malfaisants. Aussi lui fallait-il
offrir [au Seigneur] un repentir et des larmes en proportion de son
péché. — Quand ces ouvrages, abhorrés de Dieu, furent brûlés, nous
mangeâmes tous ensemble, après avoir prié auparavant, et loué et
remercié le Seigneur de ce qui venait de se passer. L’heure du repas
de midi était en effet déjà arrivée. Nous mangeâmes les vivres que
chacun de nous avait apportés de chez lui, tout préparés pour son
déjeuner. Parmi eux, il y avait aussi de la viande. Nous avions, en
effet, veillé à ce que cet homme mangeât de la viande avec nous,
parce qu’on dit que ceux qui se plaisent dans la magie et qui ont
recours aux démons pervers, s’en abstiennent, et considèrent cet
aliment comme impur.
Notre
repas achevé, nous nous rendîmes au temple très vénérable du saint
apôtre Jude, frère de Jacques le Juste, qui
étaient tous deux fils de Joseph, l’époux de la sainte
Vierge, toujours vierge, Marie, Mère de Dieu, et qui étaient appelés
pour cette raison frères de Notre-Seigneur. — Un certain Kosmas
était le prêtre et le
παραμονάριος
de ce temple. Il craignait Dieu
avec ardeur et s’acquittait de son service avec diligence. C’était
un ascète qui était orné de toutes les vertus du christianisme, et
qui exerçait à juste titre le ministère divin. Avec lui se trouvait
Jean de Palestine, surnommé
εὐδρανής
(l’actif) (?).
C’était
un homme qui, après avoir étudié les lois, s’était consacré dans ce
temple à Dieu, en s’y adonnant à la vie philosophique, et qui se
rendit utile à beaucoup d’étudiants en droit de cette ville, tant
par ses mœurs que par les livres chrétiens qu’il possédait, et qu’il
communiquait et donnait. Ménas de Cappadoce,
qui étudiait aussi en ce moment le jus civile rivalisa plus
tard de zèle avec lui. Il reçut également l’habit (σχῆμα)
monastique dans ce même temple, et il se proposait de retourner
ainsi dans sa ville de Césarée et de s’y faire admettre dans
les rangs de son clergé —
Jean avait voulu, à cause
de la carrière (σχῆμα)
qu’il (Ménas) avait d’abord embrassée, qu’il n’eût rien à souffrir
des égarements de la jeunesse, — mais il monta à Dieu avec l’habit (σχῆμα)
même dont il était revêtu.
Nous
racontâmes alors à Kosmas et à Jean les circonstances
qui avaient accompagné la destruction de ces livres, et nous les
suppliâmes de prier Dieu pour l’âme de celui qui avait été livré,
ainsi que je l’ai dit, à l’erreur des démons pendant quelque temps,
afin qu’il la délivrât complètement de l’erreur et qu’il lui fît don
du vrai repentir, et aussi, pour qu’il nous sauvât tous de la
perversité des démons. Lorsque le prêtre eut dit pour celui-là de
nombreuses prières, chacun retourna chez soi. Dans la suite,
celui-là fréquenta avec nous pendant quelque temps les saintes
Églises, et offrait chaque fois du repentir et des larmes pour ses
péchés antérieurs.
Comme
nous avions appris à connaître, par son entremise, tous ceux qui
dans cette ville se plaisaient dans la magie et possédaient des
livres de magie, nous recherchâmes comment nous nous rendrions aussi
maîtres de ceux-là, ainsi que de tous ceux qui étaient attachés au
paganisme et se livraient à des sacrifices païens. La plupart de
ceux que cet Egyptien nous avait nommés, étaient des gens de
cette espèce et nous étaient connus depuis Alexandrie.
Dans ces affaires, le grand Sévère nous aidait aussi par des
conseils. Il se réjouissait de tout ce qui avait lieu, et nous
indiquait ce qu’il fallait faire. Aussi doit-il rougir de honte, dès
maintenant, l’auteur des propos tout à fait mensongers et des
calomnies invraisemblables qu’il a accumulés contre Sévère, après
les avoir forgés de toutes pièces.
Pendant
que nous réfléchissions à ces choses, et que nous admirions tous ce
qui s’était passé quand ces livres abhorrés de Dieu avaient été
brûlés, notamment le repentir de cet Égyptien, le
bruit de ce qui avait eu lieu s’était répandu partout, — il arriva
qu’un copiste fit savoir à Martyrios, lecteur d’une
sainte Εglise de cette ville, et à Polycarpe, qui a
été mentionné plus haut, personnes actives et montrant du zèle dans
ces affaires, que Georges de Thessalonique lui avait
donné un livre de magie pour en transcrire un exemplaire. Ceux-ci
nous firent savoir ce qui leur avait été dit. Nous dénonçâmes
là-dessus Georges, Asklépiodotos d’Héliopolis.
Chrysaorios de Tralles et Léontios (à cette époque
μάγιστρος),
qui étudiaient les lois à Béryte, ainsi que d’autres encore, à
Jean, le pieux évêque de cette ville. Cet Égyptien
nous les avait aussi dénoncés comme tels, et ils avaient encore
cette réputation, en quelque sorte, auprès de tous les habitants de
la ville. L’évêque nous adjoignit des membres du clergé et nous
ordonna d’examiner les livres de tous ceux-là. Les greffiers de
l’État (δημόσιοι)
étaient avec nous. Toute la ville était en émoi de ce que beaucoup
étudiaient les livres de magie au lieu de s’appliquer aux lois, et
de ce que Léontios, dont il a été fait mention, leur
faisait du tort par son paganisme.
Ce
Léontios était un homme qui savait tromper. Au lieu de s’adonner à
la science préliminaire, il dressait des horoscopes, prédisait
l’avenir, annonçait à tous ceux qui le fréquentaient leur élection
en qualité de préfets et de hauts fonctionnaires, et les amenait à
avoir recours aux idoles. Tel était chez lui l’art de la tromperie
que quelqu’un d’entre les grands de cette époque, qui habitait à
Byblos, [devint aussi sa dupe].
On racontait en effet au sujet de Léontios l’histoire suivante Le
personnage en question lui ayant demandé ce que sa femme, qui était
enceinte, enfanterait, il lui avait répondu, en lui donnant à croire
qu’il calculait et conjecturait d’après ses inepties, qu’elle
mettrait au monde un garçon.
Etant ensuite sorti de la maison, il avait pris à part la portière
et lui avait dit « Le maître de la maison m’a demandé ce que sa
femme enfanterait, et j’ai répondu : un garçon, ne voulant pas le
chagriner d’avance, lui qui désire avoir un garçon. Mais à toi je
dis la vérité, garde-la cachée pour le moment L’enfant qui lui
naîtra sera certainement une fille
». Là-dessus, Léontios était parti. Dans la suite, la femme avant
mis au monde une fille, cet homme s’était irrité de ce qu’il avait
été trompé et avait fait venir Léontios, afin de le
convaincre de mensonge. Mais celui-ci se tira d’affaire avec le
témoignage de la portière, parce qu’elle était âgée
et qu’elle paraissait mériter créance.
Il nous
fut possible de savoir où étaient les livres de magie de Georges
et d’Asklépiodotos, et nous les apportâmes au
milieu de la ville. Mais ceux des autres nous échappèrent en ce
moment, parce que leurs possesseurs s’étaient enfuis et les avaient
cachés. Toutefois Chrysaorios souleva contre nous des perturbateurs
parmi ceux qu’on appelle
Poroi
(?) et que
les étudiants en droit ont l’habitude de nommer compagnons
(?) gens de mœurs infâmes, qui vivent avec arrogance, sont souvent
meurtriers, et ne ménagent pas l’épée. Bien que le peuple tout
entier craignît Dieu avec ardeur, qu’il se fût soulevé contre ces
gens, et qu’il promît de nous aider, Constantin de Béryte,
qui était à la tête d’une grande et puissante fortune, menaça
(décida?) encore d’amener des paysans et de faire saisir par eux
tous les chefs des dits compagnons.
Mais pour que cette affaire ne tournât pas en mal, lorsque
Léontios eut été pris par des personnes zélées et alors qu’il
allait se trouver en danger, maous lui assurâmes, non sans peine, la
fuite et le salut.
Ne pouvant pas punir pour cause de zèle ceux que nous avions excités
[au zèle], nous modérions la violence du mal dont ils se rendaient
coupables, en leur disant qu’il nous fallait plutôt convertir les
âmes de ces gens à la crainte de Dieu, comme l’ordonne la loi divine
quand elle dit : Je ne veux pas la mort du pécheur, [mais]
(afin?) qu’il se convertisse et vive. »
Nous
nous occupâmes aussitôt de brûler les livres de magie qui avaient
déjà été saisis. C’est pourquoi ayant pris avec nous, sur l’ordre de
l’évêque, le defensor (ἔκδικος)
de la ville, les greffiers de l’État (δημόσιοι)
et les membres du clergé, nous allumâmes pour ces livres un feu
devant l’église de la sainte Vierge et Mère de Dieu, Marie. Chacun
regardait brûler les livres de magie et les signes diaboliques, et
apprenait à connaître auparavant, par les lectures que faisait celui
qui les livrait aux flammes, la fanfaronnade, des choses écrites,
l’orgueil athée et barbare (βάρβαρος)
des démons, leurs indications malfaisantes et remplies de haine pour
les hommes, ainsi que l’arrogance du diable, qui enseigna à
promettre et à accomplir des choses horribles de ce genre. Telles
étaient en effet ces indications : « Comment faut-il troubler les
villes, soulever les peuples et armer les pères contre leurs fils et
leurs petits-fils? »
Par quels moyens on rompra les unions légitimes et les
cohabitations.
Comment
on amènera par violence une femme qui désire vivre dans la chasteté
à l’amour illicite, ou comment on commettra l’adultère et le
meurtre, ou comment on cachera le vol. De quelle manière on forcera
les juges à rendre pour soi une sentence d’acquittement
». A cause de ces indications si infâmes, le peuple tout entier
poussa de nombreuses clameurs contre les païens et les magiciens, et
bénissait, et comblait de louanges ceux qui avaient veillé à ces
écrits fussent divulgués et livrés au feu.
Voilà
quels furent les fruits des conseils du grand Sévère.
Dans ces affaires, il dirigeait comme un chef d’armée, niais pour ne
pas avoir l’air de se donner en spectacle, il se tenait tranquille
et s’appliquait à l’étude des lois. Aussi celui qui a altéré la
vérité par son mensonge et sa fiction, a-t-il porté contre lui une
accusation qui ne peut nullement être démontrée et ne saurait en
rien être établie.
Peu de
temps après, il se passa encore un autre événement : des vagabonds,
des vanupieds, des magiciens, suivis du ramas de l’univers, vinrent
à Béryte. Ils promettaient de faire apparaître des trésors, et
avaient composé l’inepte histoire suivante « Darius,
roi des Perses, quand il était venu jadis dans ce pays et dans ces
lieux, où il exista avant notre temps des villes, avait caché
beaucoup d’or, et autant et autant de talents d’or, ajoutaient-ils;
ils avaient appris la chose par le récit des mages et des Perses. »
Après avoir inventé cette ineptie, ils se demandaient qui ils
trouveraient de nature à accueillir leur tromperie, et qui, par
manque d’intelligence. Perdrait, dans l’espoir d’obtenir des biens,
même ceux qu’il possédait, et serait la victime de cette
bouffonnerie persane.
Mis au
courant des faits et gestes de Chrysaorius, ils lui
firent connaître leur fable. Celui-ci l’admit sans difficulté, et
demanda comment ils s’empareraient de ces trésors. Ils lui
répondirent que l’affaire exigeait le secours de la nécromancie,
qu’ils avaient parmi eux quelqu’un qui s’entendait à ces évocations;
qu’il fallait encore un endroit caché à la foule, afin disaient-ils,
qu’on ne les surprît pas dans leurs opérations
Chrysaorios, en homme dépourvu d’esprit, ajouta foi à ces paroles.
Avant eu pour un certain motif une conversation avec le
παραμονάριος
de la chapelle dite le
second martyrion : il lui fit part de cette promesse de trésors.
Celui-ci, comme il était fasciné par l’or, répondit qu’il y avait
beaucoup de tombeaux isolés dans le temple dont il avait, la garde,
et qu’il leur serait possible d’y accomplir, au milieu de la nuit,
ce qu’ils avaient en vue. Ils se rendirent donc tous, après avoir
attendu ce moment, au martyrion. Ces vagabonds et magiciens
déclarèrent alors que des objets en argent leur étaient nécessaires
pour cette entreprise, aux uns, pour aller à la mer qui était proche
et évoquer au moyeu de ces objets les dénions, gardiens de ces
trésors ; à cet autre, pour pratiquer la nécromancie dans les
tombeaux situés dans le temple. Poussé par l’espoir de l’or, le
ministre indigne de ces martyrs, obéissant à Chrysaorios,
les aida à commettre leur sacrilège. Chrysaorios pour sa
part donna à certains d’entre eux des objets d’argent avec lesquels
ils ne tardèrent pas à prendre la fuite, après avoir fait semblant
de se tenir d’abord devant la mer, et d’évoquer, avec ces objets,
les démons, gardiens de ces trésors imaginaires. Quant au
παραμονάριος,
il prit parmi les vases sacrés l’encensoir d’argent, et le donna à
celui qui promettait de pratiquer la nécromancie, d’évoquer de force
les âmes des morts, et d’apprendre d’elles en quel lieu ces trésors
étaient cachés. Mais au moment même où le magicien commençait cette
évocation diabolique et qu’il portait l’encensoir, le Dieu des
martyrs punit ces gens. Il fit trembler le sol sous leurs pieds, au
point qu’ils furent tous à demi morts de frayeur, s’attendant à voir
le temple tout entier s’écrouler sur eux. Oppressés par l’angoisse,
ce vagabond et magicien (= le nécromancien) ainsi que Chrysaorios
eurent beaucoup de peine à échapper au langer qui les menaçait.
Les pauvres qui dormaient dans ce temple s’étant rendu compte de ce
qu’on avait osé accomplir, poussèrent des cris et allèrent faire
connaître ces faits en ville.
Un
nouveau soulèvement de tout le peuple résulta de là contre les
païens et les magiciens, et de nombreuses clameurs s’élevèrent
contre celui qui n’était pas digne d’être appelé
παραμονάριος
et aussi contre Chrysaorios,
au moment où l’on célébrait la commémoration et la fête du très
glorieux saint Jean, Baptiste et Précurseur. Le
παραμονάριος
après avoir été arrêté, puis
réprimandé par l’évêque, fut envoyé dans un couvent, avec défense
d’en sortir pendant un temps déterminé. Quant à Chrysaorios,
il s’enfuit en ce moment de la ville, et ce fut au prix de
beaucoup d’or qu’il acheta plus tard le droit d’y rentrer. —
Léontios
s’était en effet décidé, après avoir
pris la fuite du premier soulèvement, à recevoir le divin baptême,
dans le temple du saint martyr Léontios, et c’est
ainsi qu’il avait pu rentrer dans la ville. Il était revenu en
confessant qu’il était maintenant chrétien, et en suppliant tout le
monde, dans le vêtement blanc des nouveaux baptisés, de lui
pardonner ce qui avait eu lieu antérieurement.
Mais
pour que Chrysaorios n’eût pas la présomption
d’être sage et ne s’imaginât pas que grâce aux démons, à la magie et
à la richesse, il avait seul triomphé dans les soulèvements qui
avaient eu lieu contre lui, — les livres de magie qu’il possédait
n’avaient pas brûlés, — le Dieu des martyrs qu’il avait foulés aux
pieds, se vengea de lui de la façon suivante. Quand il eut résolu de
retourner dans son pays, il loua un navire sur lequel il chargea
tous les livres de magie qu’il se trouvait avoir acquis, au
dire des personnes bien informées au prix de beaucoup d’or. Il
embarqua encore les livres de loi et la plupart des objets d’argent
qu’il possédait, ainsi que ses enfants et leur mère qui était sa
concubine, et ordonna de mettre à la voile au moment qu’il croyait
propice avec beaucoup d’autres personnes, après avoir consulté
quelque traité de magie, le mouvement des astres et ses calculs.
Lui-même devait retourner dans son pays par voie de terre.
Le navire mit donc à la voile sur la promesse des démons et des
astrologues (ἀστολόγοι)
qu’il serait sauvé avec tout ce qu’il contenait. Or, malgré la magie
et les livres de magie, il fut englouti, et rien de ce que
Chrysaorios avait embarqué ne fut sauvé. C’est par ce châtiment
que le Dieu des martyrs punit en ce moment cet homme insensible,
parce qu’il n’avait pas voulu se rendre agréable à lui par le
repentir, ni tenir compte du premier châtiment, mais que, comme
Pharaon, il avait persévéré dans son obstination.
*
* *
Il
semblera qu’il était inutile de raconter ces histoires. Cependant,
comme elles contribuent à réfuter la magie et l’erreur des païens,
nous avons cru bon de les ajouter, à juste titre, à la gloire de
Dieu tout-puissant et de notre Sauveur Jésus-Christ, qui surprend
les sages dans leur ruse, et qui a précipité Pharaon dans la
mer avec ses chars, ses cavaliers et les sages de l’Egypte.
D’ailleurs ces histoires ne sont nullement étrangères à notre
sujet que nous traiterons dorénavant, en évitant toute digression.
Nous avons montré suffisamment que jamais le serviteur de Dieu et
pontife Sévère n’a pu être surpris en train d’offrir des
sacrifices païens ou de se livrer à la magie, comme le calomniateur
a eu l’audace de le dire. Celui-ci, quel qu’il soit, sera puni par
Dieu, dès ce monde, s’il est encore en vie, pour la calomnie qu’il a
inventée de la sorte, et s’il a quitté la vie humaine, devant le
tribunal que personne ne peut tromper. Ce patriarche de Dieu était,
en effet, à Alexandrie et en Phénicie, avec
ceux qui, avec la seule aide de Dieu et de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, traitèrent comme ils le firent les païens, les
magiciens et les dieux des païens. Il était surtout avec eux en
Phénicie, parce qu’il possédait déjà bien la philosophie
pratique, par la suite de soit émulation avec Evagrios,
et parce qu’il était mieux au courant de la science et de la
théorie (θεωρία)
des doctrines, depuis qu’il s’appliquait à la lecture des écrivains
ecclésiastiques.
Lorsqu’il eut bien profité de celle-ci, il composa un panégyrique
sur le divin apôtre Paul; offrit ce premier discours à Dieu
et le supplia, par son intermédiaire, d’être jugé digne du baptême
sauveur. Tous ceux qui le lurent admirèrent sa science des divines
Ecritures de même qu’ils admiraient son application à l’étude des
lois. L’admirable Evagrios, en considérant cette
science, me réprimanda vivement. « Pourquoi, me disait-il, après
avoir acquis tout ce savoir et avoir supplié Dieu au sujet du divin
baptême, Sévère tarde-t-il à le recevoir réellement? D’où
savons-nous qu’il persévérera dans son intention et son désir
actuels? S’il ne participe pas aux saints mystères, Dieu plus, s’il
ne reçoit immédiatement le baptême sauveur, tu subiras à sa place un
grand châtiment. Car c’est toi qu’il doit cette science, celui qui
tarde à montrer également dans le baptême les fruits du repentir,
qui hésite à recevoir le sceau royal et à être compté au nombre des
serviteurs de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Mais si tu t’intéresses à
ton salut et au sien, fais en sorte qu’il reçoive immédiatement la
grâce divine.
A la
suite de cet entretien, j’allai trouver Sévère et je lui rapportai
les paroles du pieux Evagrios.
— Vous
exigez de moi, me dit-il, que je me couvre de souillures après le
baptême sauveur Car je vois souvent des jeunes gens captives par les
femmes publiques et j’habite dans une ville qui est une source de
plaisir. Attends que j’aie fini l’étude des lois, et je recevrai le
baptême à Alexandrie, ou tu m’affirmes qu’en tout temps règne
l’orthodoxie.
— Depuis
quand, mon cher ami, lui dis-je, sommes-nous sûrs de la vie, ne
fut-ce que pour un seul jour, ou même une heure quelle qu’elle
soit ? Et quelle excuse aurons-nous à donner au dispensateur de
notre vie, au juge et à Dieu, [si], après avoir acquis une si grande
[science],
nous ne lui avons pas obéi,
quand il dit : « Si un homme ne naît pas de l’eau et de
l’esprit, il n’entrera pas dans le royaume des cieux
» et : « Celui qui connaît la volonté de son maître et
qui ne l’aura pas accomplie, sera frappé de nombreux
coups » et : « Si vous entendez sa voix,
n’endurcissez pas vos cœurs pour l’irriter. »
—
Réponds donc de moi, dit-il, aux fonts baptismaux, et je me ferai
baptiser quand vous voudrez.
Mais je
refusai pour le motif suivant : Je ne communiais pas avec les
évêques de Phénicie, mais avec les saints Pères d’Egypte
et de Palestine, dont les chefs étaient de grands
athlètes (ἀγονισταί)
de la religion. C’était Pierre, du pays des
Ibériens, qui fut évêque de Maïouma
et qui se distingua par une philosophie remarquable, par la pratique
de la vie monastique, et par l’accomplissement de miracles
apostoliques. C’étaient Jean, archimandrite [d’un
couvent] d’Egypte et évêque de Sebennytos, et
Théodore, évêque d’Antinoé. Ce grand
vase de perfection, par l’intermédiaire duquel Dieu accomplit, comme
avec les autres, beaucoup de miracles, et fit don de la vue à
un aveugle. C’était encore celui qui fut de nos jours le second
prophète Ιsaϊe, lequel n’hérita pas seulement du nom
du prophète, mais encore de sa grâce [prophétique], et qui brilla
parmi les ascètes comme le grand Antoine. Je refusai
donc pour ce motif la proposition de Sévère.
— Prie
alors, me dit-il, l’admirable Évagrios, qui insiste
tant pour que je reçoive la vie éternelle par le baptême sauveur,
d’être mon père spirituel et de se porter garant de ma foi — il
communie avec toutes les saintes Eglises et je me ferai baptiser, si
cela vous plaît, dans le temple du très illustre martyr Léontios,
qui se trouve à Tripolis.
Je
promis avec plaisir de le faire. Lorsque j’eus prié l’admirable
Évagrios de se charger d’être le parrain de Sévère, il me fit
d’abord la même demande.
Il apprit alors ce qu’il fallait, et je l’amenai [à accepter] par le
langage que je lui tins. « De même, lui-dis-je, que tu m’avais
d’abord imposé une charge, de même je t’en impose une autre à mon
tour. J’ai amené, avec l’aide de Dieu, l’admirable Sévère à
se rendre avec empressement à ton exhortation et à ne différer
nullement la grâce par crainte. Or, il convient maintenant que tu
deviennes son père spirituel, si tu ne veux pas être un obstacle à
son salut, et te condamner ainsi toi-même au châtiment dont tu
m’avais d’ais bord menacé. »
Il nous
sembla bon de faire part de cette résolution à nos autres
compagnons; puis, moi, Évagrios, cet homme si
vertueux, Elisée, à l’âme pure comme l’or, l’admirable
Anatolios, le pieux Zénodore, ainsi que
d’autres encore, nous nous rendîmes avec Sévère au temple du divin
martyr Léontios, à Tripolis.
Nous le
conduisîmes aussitôt auprès de Jean, ce grand
philosophe de Notre-Seigneur Jésus-Christ, tant dans la pratique que
dans la théorie,
qui depuis sa jeunesse était consacré à Dieu, et qui depuis son
enfance était assidu à l’autel du saint temple en question. Il vécut
à ce point dans la crainte de Dieu qu’il éleva à côté du
martyrion une demeure de la vraie philosophie, et qu’il engagea
beaucoup de personnes à se débarrasser des entraves du monde pour
embrasser la vie monastique, à rejeter les vaines espérances qui ne
diffèrent en rien des songes, et à préférer la loi de Dieu à tout ce
qu’ils possédaient. Il versait de tels torrents de larmes à la suite
de ses nombreux gémissements que ses yeux portaient la trace du flux
continuel qu’ils faisaient jaillir.
Sévère
fut donc d’abord catéchisé par ce Jean, qui excellait autant dans
les vertus pratiques que dans les théories (θεωρίαι)
spirituelles, et qui était pénétré des doctrines du mystère divin.
La lecture des homélies catéchétiques de Grégoire,
frère du grand Basile et évêque de Nysse, de
Cyrille de Jérusalem et du grand Jean,
l’initia ensuite aux théories (θεωρίαι)
divines et aux symboles du baptême.
Après
cela, nous nous rendîmes au temple; nous nous présentâmes au prêtre
et
παραμονάριος
du martyrion,
nommé Léontios, et nous le priâmes de baptiser le
grand Sévère. Jean, cet homme admirable par ses
vertus, avait prié auparavant Sévère, prêtre de la
sainte Église de Tripolis, qui était orné de toutes
sortes de dons et qui occupait le premier rang dans la noblesse
divine de cette ville, — lui aussi s’était approché de Dieu par de
bonnes œuvres et avait préféré la grâce divine à la carrière du
barreau — il l’avait prié, dis-je, lui et le clergé de l’église, de
nous aider dans notre tâche et de préparer sa maison pour recevoir
celui qui allait être baptisé. Il était venu avec nous, et s’était
chargé de tous les soins que réclamait cette affaire. Celui qui est
aujourd’hui évêque de Dieu fut donc baptisé dans la chapelle du
divin et victorieux martyr Léontios. L’admirable
Évagrios répondit de lui aux fonts baptismaux et fut son père
spirituel. Dès qu’il eut participé aux mystères divins, on put
prévoir ce qu’il serait plus tard. Il s’était, en effet, approché de
Dieu avec une telle foi que tous ceux qui furent présents louèrent
Dieu au sujet de sa componction. Comme il devait, après le septième
jour, quitter les vêtements blancs, qui symbolisent
l’affranchissement, et les mettre de côté, il fut triste quelque
temps, et désirait, en quelque sorte, s’en aller alors à Dieu, avec
cet ornement et ce costume tant il était pénétré de douleur, et si
grandes étaient sa connaissance et son intelligence de la cérémonie
divine et mystique!
Après
les jours fixés et légaux, nous retournâmes à Béryte,
munis de prières du divin martyr et de ces hommes admirables. A
partir de ce moment, Sévère fit de tels progrès dans la vertu, à
l’exemple de son père (spirituel), qu’il jeûnait, pour ainsi dire,
tous les jours, ne prenait jamais de bains, et n’accomplissait pas
seulement les devoirs du soir dans les Églises de Dieu, mais aussi,
la plupart du temps, y passait une bonne partie (?) de la
nuit. Tout cela afin que son corps maigrît, que sa chair se
consumât, et que sa vertu grandît davantage. Il cherchait ainsi un
refuge en Dieu, tout en étudiant et en approfondissant sans relâche
le droit pendant les jours où nous avions cours.
Aussi en vint-il à posséder dans les lois le savoir d’un professeur,
et était-il tenu dans une pareille estime par la plupart des
étudiants capables de juger sans envie le mérite.
D’autre part, nous consacrions avec joie, à l’étude des doctrines
divines, le temps dont nous étions convenus entre nous dès le début.
Pendant
que notre vie allait de ce train, Evagrios, ce grand
vertueux, ne cessait d’amener beaucoup de personnes à l’amour de la
philosophie divine et à la vie monastique, et ne cessait de rappeler
l’ascétisme de ceux qui cultivaient la philosophie en Orient. Or,
tandis que je mettais par écrit les exploits de ces hommes inspirés
de Dieu, de Pierre l’Ibérien, dis-je, et d’Isaïe,
ce grand ascète d’Égypte,
— car ces deux hommes,
pendant leur séjour en Palestine, s’étaient acquis une
grande réputation auprès de tous les chrétiens, Anastase d’Edesse,
dont j’ai parlé plus haut, eut le premier une aventure dans le
genre de ces histoires, aventure qui vaut la peine d’être admirée et
racontée. Il vit, en effet, en songe Pierre, ce grand
évêque de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel fut aussi donné le nom
du prince des apôtres, qui lui ordonnait de venir immédiatement, en
montant ce qu’on appelle un
βέρηδος
(cheval de poste). A son lever,
Anastase me fit part de sa vision et de l’ordre qu’il avait reçu, et
me décrivit aussi la personne (πρόσωπον)
sacrée de Pierre. Je conclus du récit qu’il me fit que ce n’était
pas un songe qu’il avait eu, mais une apparition divine, qui
appelait, par l’entremise de ce saint homme, l’admirable Anastase
à la vie monastique. Aussi je lui dis : « C’est bien le grand
homme que tu as vu, et tu dois obéir promptement. C’est là, en
effet, la signification que cette apparition a pour toi. » Comme il
avait un oncle qui était alors gouverneur de la province (ὑπαρχία),
il me répondit qu’il avait peur de se mettre en route par voie de
terre, et qu’il préférait attendre que le vent du nord lui permît de
se rendre par mer en Palestine. Il attendit
donc un certain nombre de jours pour ce motif. Comme ce qu’il
désirait ne se produisait pas, et qu’il était en proie au
découragement, je lui rappelai la vision qu’il avait eue et qui
voulait plutôt (μᾶλλον)
qu’il se rendît promptement par terre auprès de cet illustre évêque
et serviteur du Dieu tout-puissant et de notre Sauveur Jésus-Christ.
Puis je lui conseillai, à lui qui avait peur à cause de son
oncle de passer [par Tyr] en quittant Béryte, de ne
pas traverser Tyr, où son oncle habitait alors,
pendant le jour, mais au milieu de la nuit, après avoir fait halte
pendant le jour en dehors des murs. Ce conseil lui plut, et il le
mit à exécution. Parvenu à Césarée de Palestine,
Dieu, qui l’avait appelé à lui au moyen du grand Pierre,
fit en sorte qu’il rencontrât des disciples de ce saint homme,
et qu’il apprit d’eux où séjournait celui auprès duquel il se
rendait. Au cours de son entretien avec eux, il s’entendit dire : «
Pourquoi, invité à venir promptement, as-tu tardé jusque maintenant?
» Arrivé ensuite auprès de Pierre, il apprit à connaître par
expérience les vertus de cet homme divin et les récits qu’on
racontait à son sujet, et, aussitôt qu’il eut promis à Dieu
d’embrasser la vie monastique et de vivre sous son obédience de
Pierre, il fut délivré de la lèpre dont son corps était atteint; car
cette maladie, appelée maladie sacrée, avait déjà commencé à
s’emparer de lui.
Lorsque
ces faits furent connus, à Béryte, de l’admirable ils
suscitèrent chez lui le désir de partir aussi. Le pieux Évagrios
nous avait, en effet, souvent parlé de la vie monastique, et il
espérait, étant un homme de mœurs simples, nous entraîner tous, ou
du moins un grand nombre de nous. Le grand Élisée n’attendit
pas aussi longtemps. Il avait également eu, longtemps auparavant,
une apparition du saint homme, qui lui ordonnait, pendant la nuit,
de se lever et de chanter à Dieu le psaume cinquante. À la fin, à la
suite de son grand amour [de Dieu], le feu de la philosophie divine
s’était allumé en lui, comme il me l’avait appris, car j’habitais à
cette époque avec lui. N’ayant pas su résister à la flamme de la
vocation divine, il se rendit en hâte en Palestine auprès du
saint homme, et se plaça sous son obédience, après avoir pris le
joug de la philosophie.
Peu de
temps après, nous apprîmes la mort de l’illustre Pierre.
A cette nouvelle, l’admirable Évagrios gémit et se
lamenta de ce qu’il n’avait pas obtenu comme d’autres, la faveur de
voir ce grand homme et de connaître par expérience la grâce divine
dont il était doué. Il me reprochait d’avoir différé mon départ, et
blâmait aussi l’hésitation des autres.
Nous
apprîmes également que le grand Pierre avait laissé des
héritiers après lui. L’un d’eux était Jean, surnommé
le Canopite, un philosophe qui était vierge d’âme et
de corps, et même des sens du corps, et dont l’esprit était tourné
vers Dieu. Les autres étaient Zacharie, André et
Théodore. Celui-ci était mentionné en quatrième lieu,
mais sur la proposition des deux qui étaient avant, lui, il parut
juste de lui confier la direction du couvent avec le grand Jean,
ainsi que de réserver l’autel à Jean, surnommé
Rufus. Celui-ci avait étudié précédemment les lois à
Béryte avec Théodore dont je viens de parler; et ils
avaient laissé tous deux dans cette ville une grande réputation de
chasteté et de piété auprès de tout le monde. A cause de la gravité
de son visage et l’ascétisme de son corps, Jean était surnommé
Lazare, et Théodore était appelé le Juste,
à cause des vertus qu’il possédait. Jean avait été incorporé au
clergé d’Antioche la grande par Pierre, alors
évêque de cette ville, qui l’avait arraché aux écoles. Il avait reçu
[de lui] l’ordination (χειροτονία)
de la prêtrise, et avait habité avec celui qui l’avait ordonné à
cause du beau témoignage que tout le monde lui rendait. Dans la
suite, il s’était rendu en Palestine et avait embrassé la vie
monastique auprès du grand Pierre. Quant à Théodore,
il avait, avant Jean, aimé la même vie. Il avait vendu tous les
biens qu’il possédait à Ascalon, d’où il était; en
avait donné le prix (τιμή)
aux pauvres, comme l’ordonne la loi de Dieu s’était chargé de la
croix du Christ et l’avait suivi, conformément à ce que dit
l’Écriture.
Après
que nous eûmes appris
que le grand Pierre avait laissé ces héritiers, Évagrios,
le père spirituel du grand Sévère, nous déclarait
à tous avec instances, lorsque leur renommée fut parvenue jusqu’à
nous, que c’était perdre son âme que de tarder encore à habiter avec
eux. Anatolios abandonna alors la femme et les enfants qu’il
avait à Alexandrie, et promit à Évagrios de quitter le
monde. Philippe de Patara, l’imita également,
ainsi mon compatriote Lucius, qui avait reçu peu de
temps auparavant une lettre du grand Pierre,
— qui jouissait encore à
cette époque de la vie corporelle, — dans laquelle il nous exhortait
à l’observance des lois divines. J’aurais voulu dès lors imiter le
zèle d’Anastase et d’Elisée, et promettre à
ceux-là de devenir leur compagnon. Comme j’avais peur de la vie
monastique, ils insistaient tous trois auprès de moi, en faisant
valoir à mes yeux l’élévation de la philosophie divine, et en me
priant de ne pas me séparer d’eux. Objectant la crainte de mon père,
dont la maison n’était pas éloignée du couvent du grand Pierre,
je disais que je serais certainement empêché par mes parents
d’embrasser ce genre de vie, et je les priais de me pardonner
si pareille chose arrivait.
«
[Suis-nous toujours], me dirent-ils. Ou bien tu seras des nôtres, et
tu cultiveras la philosophie avec nous, ou bien tu te borneras à
nous accompagner jusqu’au couvent. » Je les suivis donc. Le grand
Sévère n’approuvait pas mon départ. D’abord il prévoyait ce qui
allait arriver, ensuite il était affligé de ce que tout le monde le
quittait; il savait en outre que j’étais trop faible pour cet acte.
Mais je ne m’étendrai pas sur ce sujet, car je ne veux pas raconter
mes affaires, quoique je m’accuse moi-même dans ce que je dis.
Ceux-là purent certes atteindre les hauteurs de la philosophie;
quant à moi, les ailes me tombèrent,
comme on dit, — tant à cause de ma faiblesse que pour les raisons
que j’ai données, — et je revins de nouveau à Béryte.
La prophétie que l’illustre Pierre avait faite à mon sujet
s’était accomplie : Lorsque je le revis, à l’époque où j’étais
nouvellement revenu dans mon pays d’Alexandrie,
— j’étais accompagné de
Plousianos (Πλοθσιανός)
d’Alexandrie, qui est aujourd’hui un pieux moine;
il faisait alors partie de la cohorte (τάξις)
du préfet d’Égypte et était venu auprès de Pierre pour [recevoir] sa
prière et [sa bénédiction?] — lorsque, dis-je, je le vis alors, il
dit à mon compagnon, après l’avoir regardé et après avoir deviné son
nom : « Va et tonds ta chevelure »; mais à moi il me dit, pendant
que je mangeais avec ses disciples à l’heure du repas : « Mange,
jeune homme. » Il s’ensuivit que, peu de temps après, mon compagnon
choisit la vie monastique, dans laquelle il s’est distingué jusqu’à
ce jour, au couvent dit
Ὀκτωκαιδέκατον;
et que, quant à moi, j’embrassai la profession d’avocat (δικανική),
m’étant réellement montré « jeune homme » et plongé dans de nombreux
péchés.
Je
revins donc à Béryte. Je rapportais avec moi une lettre du
fervent Εvagrios à son filleul, et une lettre d’Énée (Ἀινείας),
le grand et savant sophiste chrétien de la ville de Gaza,
à Zénodore mon compatriote. Ces lettres excusaient et me
pardonnaient mon retour, c’est-à-dire mon refus [d’embrasser la vie
monastique]. Dès lors moi et ceux-ci nous reprîmes nos études
habituelles avec nos autres compagnons. Nous étudiions ensemble les
lois, et nous fréquentions en commun avec d’autres, les saintes
Églises à l’heure des offices du soir et des assemblées. D’autre
part, le grand Sévère et moi, nous faisions pour notre
compte, à la maison, aux moments habituels, la lecture des écrits
chrétiens, selon ce qui avait été convenu entre nous dès le
commencement. Si grands furent ses progrès dans la vertu que, même
avant d’avoir revêtu l’habit monastique, il se montrait un
philosophe chrétien par les actes et par la science. Dans la
pratique, il était semblable à son père [spirituel], et il n’avait
plus, pour ainsi dire, que l’ombre de son corps, à la suite de son
ascétisme exalté; dans les théories de la science de la nature et de
la théologie (θεολογία),
il le surpassait.
Je passe
sous silence les luttes qui, dans l’intervalle, eurent lieu de
nouveau contre les païens et les magiciens, et tout ce que j’aurais
eu à souffrir de leur part, si je n’avais pas été sauvé à
différentes reprises de leurs mains meurtrières par l’agonothète,
notre Seigneur et notre Dieu, Jésus-Christ, grâce aux prières que
lui avaient adressées pour nous le grand Evagrios et
l’admirable Sévère. Celui-ci nous aidait en cachette
de ses conseils. Comment donc une personne pourvue d’intelligence
pouvait-elle écrire contre lui ce que tu m’as dit que ce menteur a
écrit? Ou bien, celui qui est chrétien, n’adhère pas à des calomnies
de ce genre; ou bien, s’il consent à les accueillir, il ne craint
pas le jugement de Dieu, qui dit : « Tu ne recevras pas un vain
bruit.
»
A cause
de ce diffamateur, il fallait qu’il fût montré que Sévère ne le céda
pas même en une petite mesure en vertu à son père.
Sévère
étudia les lois autant qu’on peut le faire, examina et approfondit
tous les édits impériaux y compris ceux de son temps, compara
ensemble les commentaires contenus dans les précis des lois,
nota dans des cahiers des racines auxiliaires de l’oubli et du
souvenir (?), et laissa, comme des à ceux qui
viendraient après lui, ses livres et ses notes.
Lorsqu’il eut décidé dans la suite de rentrer dans son pays, afin de
s’y établir comme rhéteur (ῥήτωρ)
et d’y exercer la profession d’avocat (σχολαστική),
il me dit d’aller prier avec lui au temple du très illustre martyr
Léontios, où il avait reçu le baptême sauveur. De là,
il me fit encore aller avec lui à Émèse, pour prier
devant le chef divin et sacré de saint Jean, Baptiste et Précurseur
qui avait été découvert en cette ville. Après y avoir trouvé ce que
nous cherchions, et fréquenté beaucoup de personnes qui étaient
fortement adonnées là, à cette époque, à la philosophie divine, nous
revînmes à Béryte.
Après
avoir acheté des toges (χλανίδια)
pour sa profession d’avocat (δικανική),
Sévère résolut d’aller d’abord à Jérusalem et d’y adorer la
croix, le tombeau et la résurrection de notre grand Dieu et de notre
Sauveur Jésus-Christ puis de se rendre auprès d’Évagrios,
de lui dire bonjour; ensuite de rentrer dans son pays. Il ne s’était
point aperçu que la grâce de Dieu le conduisait à la philosophie
elle-même! En quittant Béryte avec l’intention d’y revenir
encore, il me confia ses bagages et ses serviteurs (esclaves),
s’étant contenté de prendre un seul de ceux-ci avec lui, un des
anciens. Il adora certes les signes sauveurs des souffrances
divines, une fois arrivé dans la ville sainte; mais lorsqu’il eut
rencontré dans la suite l’admirable Evagrios, qu’il
eut fréquenté les héritiers du grand Pierre, et qu’il
eut vu toute la disposition de leur vie, il fut saisi par l’amour de
la philosophie divine, et fit voir un changement digne d’admiration
: au lieu de la toge, il revêtit l’habit monastique; au lieu de se
servir des livres des lois, il se servit des livres divins; au lieu
des travaux du barreau, il choisit les labeurs
de la vie monastique et de la philosophie. Peu à peu la grâce divine
l’avait proclamé rhéteur de la religion, et oint pour le patriarcat
d’Antioche, la grande ville !
Parvenu
à cet endroit de mon récit, je veux raconter brièvement tout le
genre de vie que l’on menait dans le couvent fondé par le divin
Pierre. [Les moines] passaient tout leur temps
à jeûner, à coucher sur la terre, à se tenir debout toute la
journée, à veiller pour ainsi dire la nuit entière, à prier
constamment et à assister aux offices. Ils ne consacraient qu’une
très faible partie du jour au travail des mains, par lequel ils se
procuraient ce qu’il leur fallait pour [nourrir] leur corps et pour
assister les indigents. D’autre part, chacun d’eux méditait les
saintes Ecritures même à l’heure du travail manuel.
Si grande était leur chasteté que, pour ainsi dire, ils ne
regardaient même pas les visages les uns des autres. C’était en
fixant les yeux à terre qu’ils se répondaient
dans les relations qu’ils avaient ensemble. Ils accomplissaient avec
piété tout ce qui avait trait aux exercices de la vertu,
évitant de prononcer la moindre parole inutile. — J’en connais parmi
eux qui furent aussi astreints par le grand Pierre,
quand il vivait corporellement, à observer un silence complet envers
tout le inonde pendant dix ans et davantage. Ils ne parlaient qu’à
Dieu dans les prières et les offices ayant reçu l’ordre de la part
de celui qui les avait astreints au silence, de ne révéler, à cause
des pensées dont les démons les obsédaient souvent, qu’à lui (Dieu)
seul leur combat, afin d’en recevoir le remède qu’il leur fallait.
Ils obéissaient à ce point que non seulement aucune parole futile ne
sortait de leur bouche, mais qu’ils ne se laissaient aller, ni par
la tenue, ni par la démarche, ni par le clignement des yeux, à
exprimer une pensée inconvenante.
C’est de
cette philosophie si pure que le grand Sévère s’éprit et dont
il porta le joug. Il m’envoya par conséquent celui (le serviteur)
qui l’avait élevé depuis son enfance et qui l’avait précisément
accompagné, en me faisant savoir par lettre ce qui avait plu à Dieu
à son sujet, et en m’invitant à envoyer dans son pays terrestre ses
serviteurs (esclaves) ainsi que tout ce qu’il m’avait confié; ce que
je fis.
L’admirable Étienne brûla également de zèle dans la suite
pour ce genre de vie. Il était de ceux qui vinrent après nous à
Béryte. Comme j’étais encore dans cette ville, je lui
appris le départ qui en avait eu lieu de ces six [compagnons], qui
étaient allés revêtir l’habit (σχῆμα)
monastique dans le couvent de l’illustre Pierre. Il
s’y rendit alors à son tour, en qualité de septième, après
n’être resté que peu de temps à Béryte.
Lorsque
j’eus achevé l’étude des lois, je retournai dans mon pays. Je le vis
la troupe divine, mais j’avais beau la voir, je ne pouvais pas faire
de même, retenu que j’étais par la faiblesse de mon âme. Une épreuve
qui arriva à mon père, me força de venir dans cette ville impériale
et d’y exercer la profession d’avocat.
Quant à
Évagrios, qui avait été cause de beaucoup de bien pour
tous ceux qui s’étaient appliqués à l’imiter, après qu’il se fut
aussi consacré vaillamment à la philosophie divine dans ce couvent,
qu’il eut enduré des peines
et des fatigues pour la vertu, qu’il se fut montré un moine parfait
aux yeux de tout le monde, il quitta peu de temps après la terre,
retourna à Notre-Seigneur Jésus-Christ qu’il aimait, et courut au
ciel où reposent les âmes de ceux qui ont vécu comme lui. La
prophétie qu’il avait faite sur son compte s’était accomplie « S’il
arrive que je prenne l’habit (σχῆμα)
monastique, je mourrai dans le couvent même où j’aurai reçu l’habit
(σχῆμα)
sacré. » L’admirable Sévère, après avoir vaillamment
supporté pendant un certain temps la philosophie divine dans le
couvent en question, fut entraîné par l’amour des lieux déserts et
de la vie dite solitaire, — qu’institua le grand Antoine,
ou bien un autre qui lui a été semblable en vertu, — quitta le
séjour et la vie en commun, et se rendit dans le désert d’Éleuthéropolis.
Il était accompagné d’Anastase d’Edesse,
qui était animé de la même allégresse et poussé au même zèle. Ils
s’adonnèrent [tous deux] à une vie si dure, à des travaux si
pénibles, à un ascétisme si élevé, que leurs corps tombèrent dans
une grave maladie, et qu’ils auraient été forcés, à cause de leur
grand ascétisme, à quitter la vie humaine, si Dieu, qui approuve
cette allégresse, n’avait poussé le supérieur du monastère, fondé
par l’illustre Romanos, à venir les visiter, à les
recueillir dans son couvent, à les traiter avec la sollicitude qu’il
fallait, et à les engager à habiter pour le moment avec eux. La vie
de ces moines était pénible, plus que celle de tous les couvents
réputés en Palestine pour leur ascétisme. Mais l’admirable
Sévère ne l’en aima que davantage pour sa grande austérité, qui
fut cause que ses pieds se tuméfièrent de la manière que l’on sait,
après qu’il eut été guéri de sa maladie.
Après
avoir demeuré un certain temps dans ce dernier monastère, il résolut
de retourner au port de Gaza, et il vécut la vie des
solitaires dans une cellule tranquille (κελλίον)
de la laure de Maϊouma, où se trouvait aussi le
couvent du grand Pierre. Mais lorsqu’il eut brillé
longtemps ainsi dans ces deux monastères, dans le silence de la
retraite, certaines personnes lui demandèrent, à cause de la parole
de grâce dont il était doué, à vivre sous son obédience en portant
l’habit (σχῆμα)
monastique. Il fut alors obligé de consacrer à l’achat d’un couvent
et à son arrangement le restant de l’argent qui lui était revenu,
lors du partage qu’il avait fait avec ses frères des biens de ses
parents, et dont il avait distribué la plus grande partie aux
pauvres. Il bâtit des cellules propres à recevoir d’autres
personnes.
Quand
cela fut connu de Pierre
— il était de Césarée
de Palestine; après avoir étudié dans cette ville les
sciences encyclopédiques, c’est-à-dire la grammaire et la
rhétorique, il avait méprisé Béryte et les lois qu’il
convient, dit-on, d’apprendre(?), comme aussi les vaines espérances,
et s’était joint à ceux qui pratiquaient la philosophie divine dans
le couvent de l’illustre
Romanos — quand, dis-je,
cela fut connu de Pierre, il vint trouver Sévère. Il
avait déjà appris à connaître par expérience sa chasteté, sa
sagesse, toute sa continence, tout le trésor de ses vertus et la
grâce qui lui avait été accordée par rapport à la science de la
nature et la théologie, qui est le réceptacle de celle-ci, lorsque,
à la suite de la maladie corporelle qui l’avait atteint, l’higoumène
du couvent du grand Romanos l’eut conduit dans ce monastère,
comme je l’ai raconté. Il le pria donc de le recevoir comme associé
de la philosophie divine et de lui assigner le rang de disciple.
Sévère consulta à son sujet les notables d’entre les grands qui
avaient vieilli dans l’ascétisme, qui possédaient depuis longtemps
une grande expérience et beaucoup de jugement, et qui avaient
notamment reçu l’ordination spirituelle. Au nombre de ceux-ci était
le grand et illustre Elie.
Celui-ci lui dit de ne pas repousser le frère spirituel qui s’était
refugié auprès de lui, qu’il (ce frère) prenait part à la même lutte
et au même combat, et que c’était surtout par amour de la
philosophie et des dons spirituels qu’il s’était rendu auprès de
lui. Obéissant alors aux saints Pères, Sévère le reçut comme
disciple, de même que Paul, le divin apôtre, avait
reçu le grand Timothée, et avant lui, Élie de
Thisbé, qui était parvenu au ciel par ses vertus,
Élisée, et, si l’on veut, comme le divin Pamphile,
ce martyr de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avait reçu Eusèbe
de Césarée, ou comme le très illustre Basile,
Grégoire le divin, à l’époque de son séjour dans le
Pont. D’autres encore vinrent auprès de lui, qui se
distinguèrent par le même zèle, et qui montrèrent, en vivant sous
l’obédience du grand Sévère, de tels fruits de la
philosophie que tout le monde louait Dieu à cause de leur progrès et
de leur avancement dans la vertu. Quant au disciple Pierre,
lorsque son père [spirituel] lui eut permis de s’appliquer à la
théorie dont la pratique forme, comme l’a dit Grégoire le
Théologien, les échelons,
il concentrait constamment son esprit sur les Livres sacrés, sur la
méditation des Paroles divines et sur leur explication que sa pensée
concevait souvent, avec l’aide de l’Esprit divin, de deux et de
trois manières. Il s’acquit de la sorte la richesse de la science et
l’abondance des exemples de l’Écriture. Tout le monde l’admirait non
seulement à cause de la continence de sa vie, de sa chasteté et de
ses autres vertus, mais encore pour sa charité envers les indigents,
qui est surtout agréable à Dieu, et notamment pour sa bienveillance
et sa sollicitude à l’égard des étrangers (ξένοι)
qui passaient. Ce furent là les motifs qui déterminèrent tous les
saints à ne pas seulement choisir le grand Sévère pour
recevoir l’ordination de la prêtrise, mais encore, dans la suite,
l’admirable Pierre. Tous deux la reçurent des mains d’Épiphane,
cet évêque confesseur, qui la leur donna, comme il l’avait
donnée auparavant à Jean et à Théodore, les
héritiers du très renommé évêque Pierre et les pères
spirituels du grand Sévère.
La vie
de ceux-là allait de ce train, et tous les Pères d’Égypte et
de Palestine étaient fiers de leurs vertus, quand tout à coup
l’envie se dressa contre tous ceux de Palestine qui
communiaient avec les Pères d’Égypte et d’Alexandrie.
En
effet, Néphalios, un moine d’Alexandrie, après
avoir complètement oublié la vertu pratique, puis aiguisé sa langue
pour parler, et adopté des procédés sophistiques, s’en prit à tous
ceux qui avaient vieilli dans les travaux de l’ascétisme. Il souleva
le peuple de son pays à cause de la communion de Pierre,
patriarche d’Alexandrie, avec Acace,
archevêque de cette ville impériale, et par zèle, disait-il, contre
le concile (σύνοδος)
de Chalcédoine. Une foule de séditions (στάσεις)
et de massacres naquirent de son inimitié avec Pierre,
qui était très aimé de tous ses compatriotes, pour ainsi dire, et
principalement de ceux qui formaient les partis dans la ville. C’est
ainsi qu’il excita aussi souvent l’empereur Zénon, de
pieuse fin, contre Pierre, en disant qu’il avait chassé de leurs
couvents ceux qui s’étaient séparés de sa communion par suite de son
union avec Acace. C’est ainsi encore qu’il souleva
trente mille moines Egyptiens et qu’il s’apprêtait à entrer à
Alexandrie afin de détruire cette union, lorsque Cosmas,
l’eunuque (εὐνοῦχος)
de l’empereur, fut envoyé pour porter aide à ceux qu’on disait avoir
été chassés.
Après la
mort de Pierre, il fit semblant de se convertir et de regretter les
séditions qu’il avait souvent suscitées contre lui à propos de son
union avec Acace; et il s’efforça de faire croire qu’il était
devenu orthodoxe (ὀρθόδοξος),
à la suite de ce que Pierre avait écrit dans sa lettre synodale à
Fravitas, l’héritier d’Acace. Après, il
voulut recevoir l’ordination (χειροτονία)
de la prêtrise à Alexandrie et être chargé de l’économat
d’une église, et il poussa beaucoup de personnes du palais (παλάτιον)
à insister par écrit à ce sujet auprès d’Athanase, qui
reçut le patriarcat après Pierre. Mais le peuple
gardait un souvenir sympathique de Pierre et détestait avec
raison Néphalios, qui avait été la cause d’une multitude de
troubles; il criait dans son angoisse que c’était un démon qui avait
besoin d’être enchaîné, et il affirmait qu’il était impossible que
son désir audacieux se réalisât.
A la
fin, Néphalios osa prendre la défense du concile dont il était
auparavant l’accusateur. Il se joignit alors au clergé de
Jérusalem et revint au zèle par lequel il avait provoqué de
nombreux troubles, quand il avait fait de fréquents voyages auprès
de l’empereur, qu’il avait bouleversé complètement l’union tics
Églises, et corrompu la paix et l’ordre de son pays.
Dans la
suite, il feignit de donner une preuve de sa conversion et dressa
des embûches aux héritiers du grand Pierre, à leurs
partisans, ainsi qu’à tous ceux qu’il admirait auparavant, lorsqu’il
fut venu à Maïouma, où se trouvaient leurs couvents.
Ayant reconnu que le pieux Sévère était invincible dans la
science de la crainte de Dieu et qu’il se détournait avec nue égale
horreur de toutes les hérésies, principalement de celles d’Apollinaire,
de Nestorios et d’Eutychès, ces adversaires
de Dieu, il résolut de lui livrer tout un combat (ἀγών).
Mais il ne put pas résister à sa parole invincible, ni à la
profondeur de ses pensées ni à la pureté de ses doctrines. Il
prononça alors devant l’église un discours contre Sévère et contre
les autres dont il avait été le défenseur (σθνήγορος)
devant l’empereur. Dans ce discours, il partageait en deux natures
Notre-Seigneur Jésus-Christ qui est un. Finalement, il chassa ces
moines de leurs couvents avec l’aide du clergé des églises,
c’est-à-dire avec l’aide de ceux qui avaient toujours été
pacifiquement disposés à leur égard, et qui considéraient comme une
querelle entre frères le différend qu’ils avaient avec eux. Aussi,
les appelaient-ils orthodoxes (ὀρθόδοξοι)
avant le jour où le soulèvement en question se produisit contre eux,
de la manière que je l’ai raconté.
Voilà
quel fut le motif pour lequel Sévère, cet ami de la
philosophie divine et de la tranquillité,
vint dans cette ville impériale. Lorsque, en effet, notre pieux
empereur apprit ce qui s’était passé, il avait été mis au courant
des faits par le gouverneur du pays, — comme il connaissait de par
le passé l’humeur perturbatrice de Néphalios et les vertus de
ceux qui avaient été persécutés, il entra dans une juste colère
contre lui. Tout le monde put, par conséquent, connaître la pieuse
volonté de l’empereur. Aussi, ceux qui avaient été chassés de leurs
couvents envoyèrent-ils le grand Sérère comme député, pour
raconter l’injustice qui leur avait été faite.
A son
arrivée, il me demanda et demanda aussi Jean, le
serviteur de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Lorsqu’il eut été
renseigné par nous au sujet de ceux qui avaient à cœur l’orthodoxie,
il se rendit devant l’empereur; il avait été appuyé par
Clementinus qui avait alors l’honneur d’être consul (ὑπατικός)
et patrice (πατρίκιος),
et par Eupraxios, de glorieuse et pieuse mémoire, qui
était l’un des eunuques cubiculaires
de l’empereur.
Il
raconta en détail tout ce qu’on avait fait contre eux; comment,
alors qu’aucune hérésie (αῖρησια)
ne pouvait leur être reprochée, mais qu’ils adhéraient complètement
aux doctrines de l’Eglise et qu’ils communiaient avec les Pères d’Egypte,
ils avaient été chassés de leurs couvents où ils vivaient
tranquilles. Il excita la pitié de l’empereur et des hauts
fonctionnaires, lorsque, avec les moines qui l’accompagnaient, il
leur eut fait connaître ce qui s’était passé; et il les remplit
d’admiration pour sa conduite sage et spirituelle. Aussi, l’empereur
ordonna-t-il immédiatement que le magister d’alors veillât à
ce que ceux qui avaient été traités avec iniquité, rentrassent le
plus vite possible en possession de leurs couvents. D’autre part, il
écrivit une lettre dogmatique à ceux qui étaient à la tête de ces
couvents, dans laquelle il confessait que Notre-Seigneur
Jésus-Christ était « hors de deux natures » et dans laquelle il les
exhorta à avoir en vue l’union de la sainte Église catholique de
Dieu.
Irrités
par ces choses, ceux du parti adverse inventèrent que l’admirable
Sévère et ses associés avaient d’abord été adonnés aux hérésies
de l’impie Eutychès. Pour réfuter cette calomnie, Sévère
composa contre les hérésies d’Eutychès un discours qu’il
dédia (προσεφώνησε)
à Apion et Paul, de très illustre mémoire, qui
étaient patrices. Il envoya également de nombreuses lettres de ce
genre à d’autres personnes, dans lesquelles il attaquait Eutychès,
Apollinaire et Nestorios. Ayant appris que des
partisans de Nestorios avaient fait des extraits des écrits,
inspirés par Dieu, de Cyrille, le grand patriarche d’Alexandrie,
et qu’ils s’étaient attachés à établir par des citations
forcées, tronquées et détachées de l’ensemble du contexte qu’il
adhérait aux doctrines de l’impie Nestorios, il
réfuta, quand cet ouvrage lui fut tombé sous la main, la ruse
machinée contre les esprits simples. Il démasqua, en effet, par ce
qui précédait et suivait [ces citations], la calomnie qu’on avait
osé porter contre cet homme divin, et pour ce motif, intitula ce
traité (πραγματεία),
Philalèthe. (Φιλαλήθες)
Je
passerai sous silence les traités qu’il composa pour beaucoup de
personnes du palais impérial, notamment pour l’ami de la science et
l’ami du Christ, Eupraxios, dont j’ai fait mention —
c’était l’un des eunuques impériaux — lequel l’avait interrogé sur
certains points (κεφάλαια)
et dogmes (δόγματα)
ecclésiastiques, ainsi que sur des questions (ζήτηματα)
qui paraissent embarrassantes. Je ne dirai pas comment il réfuta le
Testament (διαθήκη)
de Lampétios, qui engendra l’hérésie des Adelphiens
(Ἀδελφιανοί);
comment étant allé à Nicomédie, il démasqua Isidore,
c’est-à-dire Jean, qui avait quitté l’habit
monastique et qui erra par là et par les doctrines d’Origène
et qui en fit errer beaucoup d’autres; comment,
avec l’aide du grand Théodore, l’un des héritiers de
l’illustre Pierre l’Ibérien, quand il fut venu dans la
suite pour le même motif dans cette ville impériale, c’est-à-dire à
cause de l’union à laquelle il s’intéressait et dont Sévère avait
commencé à s’occuper ; [puis comment], avec l’aide de Sergios,
le saint évêque de Philadelphie de Séleucie,
d’Astérios de
Κηλένδρης
il discuta avec celui-ci; il se
fit, en effet, que ceux-ci étaient également venus à
Constantinople; — de Marnas, qui était le chef du
couvent de saint Romanos; du vénérable Eunomios,
l’archimandrite du bienheureux Acace, [comment,
dis-je], avec l’aide de ceux-ci, il acquit l’union avec tous les
évêques isauriens, confondant ainsi par les faits ceux
qui disaient d’eux qu’ils fuyaient la communion de tout évêque de la
sainte Église catholique de Dieu, et qui, pour ce motif, leur
donnaient le nom mensonger d’Acéphales (Ἀκέφαλοι).
— Je ne dirai pas non plus comment, les moines d’Antioche la
grande arrivant pour le même motif et se plaisant dans des
excommunications terribles et étant un obstacle à l’union de l’Eglise,
Sévère et ceux de Palestine, ayant considéré ce qui
était possible et ne s’étant écartés en rien de l’exactitude des
doctrines, avaient laissé sans excuse les évêques qui ne voulaient
pas alors réunir ensemble les membres de la sainte Église catholique
de Dieu. Il éleva, en effet, les convictions (πληροφορία)
terre à terre de Flavien, qui fut évêque d’Antioche,
vers la sublimité des doctrines, tempéra dans la mesure du possible
la violence de ceux qui s’étaient séparés de lui, et pria l’empereur
d’ordonner que l’union se fît de cette manière. Flavien d’Antioche
et Elie de Jérusalem, ainsi que certains
adversaires de ces choses, ne voulurent pas lui obéir et
occasionnèrent de grands troubles à eux-mêmes et au peuple.
Quoi?
Faut-il raconter comment il attira à lui les évêques éloquents, les
uns en leur écrivant, les autres en leur parlant, de sorte qu’eux
aussi l’aidèrent à combattre les doctrines de Nestorios?
J’omettrai cela, et je me bornerai à dire qu’ayant séjourné trois
ans ici (= à Constantinople) pour la cause de l’union, il ne
s’écarta en rien de la vie monastique, ni de la règle rigoureuse des
ascètes, et ne vécut jamais d’une vie sans contrôle, suivant l’ordre
du grand Pierre l’Ibérien. Il vécut pendant
tout ce temps, d’abord avec les moines qui l’accompagnaient pour
cette affaire, ensuite avec les saints hommes qui étaient montés
après lui de Palestine pour le même motif, je veux dire avec
Théodore dont j’ai parlé, qui fut appelé le Juste à
Béryte, et avec ceux qui l’accompagnaient. Tous ceux qui
connurent cet homme (Théodore) affirmaient qu’il était l’image
parfaite de la vertu et de la pureté. Oui, même des personnes de
grand conseil et d’âge
étudièrent avec lui. C’est, comme je l’ai dit précédemment, l’un de
ceux qui avec le saint Jean furent les héritiers de Pierre,
ce vase d’élection qui donnèrent l’habit monastique à
l’admirable Sévère, le consacrèrent pour la vertu et
l’élevèrent à la hauteur de la philosophie divine.
Dans la
suite, Pierre, le disciple de Sévère, dont j’ai parlé
plus haut, arriva également [ici]. Il venait rappeler Sévère au
retour dans son couvent. Tous ceux de nous qui virent alors ce
Pierre et apprirent à le connaître, le trouvèrent également orné de
toute espèce de vertus, et parfait dans la pratique de la vie
monastique et dans la componction. Il était aussi admiré du grand
Théodore
pour sa chasteté et ses
autres vertus.
A la
suite de tout cela, lorsque les événements relatif à Macédonios
eurent eu lieu, après la lutte et la discussion que Sévère
avait engagées avec lui au sujet des dogmes, devant les juges
établis par l’empereur, des personnes furent portées à le faire
élire comme patriarche. Beaucoup d’autres se joignirent à elles.
Aussi, s’en fallut-il de peu que l’empereur lui-même ne fût de cet
avis, si l’envie et la jalousie de certaines gens n’avaient fait
échouer ce projet. Cependant Sévère fut invité plusieurs fois par
l’empereur à habiter avec Timothée,
— le successeur de
Macédonios, un homme admirable de vertu et plein de
miséricorde pour les pauvres, — à s’occuper [avec lui] de l’union de
l’Église et à gérer avec lui les affaires de l’Église. Mais il
déclina cette invitation, en rappelant son amour de la tranquillité
et de la vie monastique et philosophique. Après en avoir engagé
d’autres à embrasser cette même vie, il retourna avec eux dans son
couvent. Il avait rempli dans la mesure du possible la mission pour
laquelle il était venu dans cette ville impériale. Pour lui et pour
tous ceux habitant la Palestine, il avait obtenu la
tranquillité; et à toute chose, il avait préféré la vie monastique.
Mais,
dans la suite, Dieu voulant l’établir patri arche d’Antioche
la grande, fit porter sur lui les suffrages (ψήφισμα)
de celle-ci, par le choix de tous les moines de l’Orient. Un grand
nombre de ceux-ci avaient eu l’occasion de faire, dans cette ville
impériale, l’expérience de sa foi, de son orthodoxie et de ses
autres qualités philosophiques, lorsqu’ils y étaient arrivés pour le
même motif [que lui]. En outre, avant eux, les moines du couvent de
Tourgas (?) avaient appris à le connaître. Chassés de
l’un des villages situés auprès d’Apamée, par ordre de
Flavien, à cause du zèle dont ils avaient fait preuve contre
les doctrines de Nestorios, ils étaient arrivés en
Palestine, au nombre d’une centaine. Ils s’en étaient
allés portant chacun sa croix sur ses épaules, et ils avaient été
reçus par Sévère et par les héritiers de Pierre, d’Isaïe,
de Romanos, de Salomon, d’Acace,
ces hommes illustres. — De plus, [Sévère fut encore élu] par le
peuple tout entier, qui était déjà dans l’admiration de la belle
réputation qu’il s’était acquise par les combats qu’il avait livrés
ici pour l’orthodoxie, ainsi que dans le concile tenu en Phénicie,
où, sur le désir des évêques orthodoxes, il avait uni ses
efforts à ceux du grand Théodore, et les avait fait
triompher dans tous les combats (ἀγῶνες).
Notre
pieux empereur approuva le choix qu’on avait fait pour le
patriarcat. Lorsque Flavien eut été chassé du trône
patriarcal, sur la décision générale des évêques de l’Orient, à
cause de ses innovations en matière de foi, il ordonna à Sévère de
quitter son couvent, de se rendre à Antioche, en vertu
de l’accord unanime des évêques et des moines, d’y recevoir le
patriarcat et d’obtenir pour tout le monde l’union que Flavien
avait rompue en favorisant Macédonios ainsi que tous ceux
qui partagent les idées de Nestorios et veulent introduire
dans l’Eglise les doctrines de Diodore et de Théodore.
De cette
espèce étaient également ceux qui en Perse soulevaient de
nouveau des controverses de ce genre, et à cause desquels les
orthodoxes de ce pays avaient envoyé de fréquentes ambassades à
notre empereur, pour prier nos évêques de faire connaître leurs avis
sur ces choses, notamment sur ce fait y a. que chez eux Barçauma
s’était non seulement efforcé de leur faire adopter les
doctrines hérétiques en question, mais avait encore corrompu les
canons (κανόνες)
de l’Église. Pour plaire au roi des Perses, irrité du grand nombre
des chrétiens qui s’étaient abstenus du mariage, il avait osé leur
imposer des lois contraires, qui obligeaient tout évêque, tout clerc
(κληρικός)
tout moine, et, d’une façon générale, tous les chrétiens à s’unir à
une femme par le mariage et à habiter avec elle. A cette époque,
Acace, qui était patriarche de cette ville impériale,
après avoir censuré Barçauma, l’avait dépouillé à
cause des doctrines de Nestorios et de
Théodore
— le serpent siffle encore; — quant à
ses canons (κανόνες),
il les avait condamnés comme ne concordant nullement avec la
tradition apostolique.
Notre
pieux empereur voulut faire disparaître les innovations que les
Nestoriens avaient machinées contre l’Hénotique (Ἑνωτικόν)
de Zénon, de pieuse fin. Macédonios avait, en
effet, également voulu commencer dans la suite une tentative de ce
genre : après avoir promis, à l’époque de son ordination (χειροτονία)
de recevoir l’Hénotique et de communier avec tous les évêques. Il
avait méprisé plus tard la vertu de cet écrit et refusé l’union avec
les Egyptiens. Après un certain temps, Flavien avait
manifesté la même volonté par ses actes. Il avait mis le trouble
parmi tous les moines de l’Orient, en y persécutant un grand nombre
de ceux qui étaient attachés à la philosophie divine, qui se
réjouissaient des travaux et des fatigues de la vie ascétique, qui
anathématisaient également les hérésies de Nestorios,
d’Eutychès, celle d’Apollinaire, cet
ennemi de Dieu, ainsi que toute autre mauvaise doctrine qui s’est
dressée contre la sainte Eglise catholique de Dieu. Ne voulant pas
s’écarter de la vertu de l’Hénotique et désirant réprimer les
innovations et les persécutions, l’empereur ratifia l’élection du
grand Sévère, comme je l’ai dit plus haut, et le reconnut
digne de recevoir le patriarcal
Aussitôt
que je l’appris, je rappelai à Sévère par lettre la prophétie que le
bienheureux Ménas avait faite à son sujet. Je lui disais que
sa nomination était d’ordre divin et qu’il ne devait pas la
décliner. C’était Dieu qui, en réalisant la prophétie faite à son
sujet, l’avait fait monter sur le trône patriarcal, tandis que toute
la ville le considérait comme un second Pierre. Il
accepta donc le patriarcat, ainsi que l’union de tous les évêques
orientaux, des clercs (κλεροκοί),
des moines et des peuples. Il rétablit aussitôt l’union avec les
Égyptiens que son prédécesseur avait rompue dans le but
d’altérer la concorde de l’Église. Épiphane seulement, évêque
de Tyr, en raison de son amour pour Flavien
dont il est le frère, refusa complètement d’adhérer à l’union, de
même que Julien de Bostra. Ceux-ci abandonnèrent alors
les villes dont ils étaient évêques, sans que personne les y forçât.
Cet homme de Dieu (Sévère) aurait aussi fait l’union avec tous les
autres [évêques]. — Il leur envoya, en effet, des lettres synodales,
— s’il n’en avait été empêché par l’envie des démons et la jalousie
des personnes qui ne se réjouissent nullement de la paix des
Églises, ainsi que par l’agitation qui se produisit dans cette ville
impériale à cause de l’hymne du Trisagion Cette hymne était
en usage en Orient avec l’addition « Toi qui as été crucifié pour
nous, aie pitié de nous », et il avait plu à certaines
personnes de la chanter également ici de cette manière. Mais elles
coururent de grands dangers (κίνδυνοι),
lors des troubles que provoquèrent chez les simples les partisans de
Nestorios, qui préparaient cette hymne pour Rome (?).
Voilà comment l’union fut empêchée. Sévère, au moment où il monta
sur le trône patriarcal, prononça sa première homélie dans l’Église
de Dieu. Il y foula aux pieds toutes les hérésies. Aussi, tout le
monde admirait-il son orthodoxie ses citations de l’Écriture, la
clarté de sa parole, et le considérait-il, en vérité, comme un
second Jean.
Voici
que j’ai raconté, mon ami, quelle a été la vie du grand Sévère
jusqu’à son patriarcat. Laissant l’histoire des autres faits à
la ville qui l’a accueilli, à ceux qui ont été dirigés par lui, qui
ont profité de son enseignement apostolique et qui ont fait
l’expérience de sa vie et de ses travaux ascétiques, je terminerai
ce récit que j’ai composé, sur ton invitation, pour la gloire du
grand Dieu et de notre Sauveur, Jésus-Christ, qui est l’objet, le
commencement et fin6 de toute crainte de Dieu et de toute histoire
vraie.
Fin de l’histoire de
la vie de saint Mar Sévère,
antérieurement à son
épiscopat (ἐπισκοπή),
par Zacharie le Scholastique (σχολαστικός).
« et je disais qu’ils (les parents) m’abandonneraient »?
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